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On ne saurait laisser en entier à Saint-Simon le rôle qu’il s’attribue. Sans doute, intimement lié qu’il était avec Beauvilliers et Chevreuse, il a dû se concerter avec eux sur les avis qu’il serait utile de faire passer au Duc de Bourgogne, et rien ne défend non plus de croire qu’honoré ainsi que sa femme de la bienveillance de la Duchesse de Bourgogne, il lui ait fait parvenir quelques conseils. Mais la jeune princesse, qui commençait à n’ê‘re plus une enfant (elle avait alors vingt-trois ans), n’avait pas besoin d’être rappelée à son devoir par Saint-Simon. Depuis quelques années, les épreuves l’avaient mûrie, et elle n’était plus la femme frivole que nous avons dû montrer, menant une vie toute de dissipation et de plaisir. La douleur de voir aux prises son pays natal et son pays d’adoption, son père et son mari, avait peu à peu changé son humeur et lui avait fait prendre la vie au sérieux ; suivant la forte expression de Mme de Maintenon, « elle se pénétrait des choses sans dire un mot, » mais « elle avait sans cesse les larmes aux yeux[1]. » Ces dispositions nouvelles l’avaient rapprochée de son mari. Elle pouvait continuer à le trouver d’humeur un peu grave, mais elle s’était attachée sincèrement à lui et savait le lui témoigner. Ce n’était pas sans inquiétude que le Duc de Bourgogne s’était éloigné, la laissant de nouveau seule à la Cour, et, s’il n’avait jamais soupçonné la cause du silence obstinément gardé par elle pendant toute sa campagne de 1703 et qui l’avait fait tant souffrir[2], cependant on devine qu’il ne laissait pas d’éprouver encore quelque appréhension. Aussi, dès les premiers jours de son entrée en campagne, avait-il recours à Mme de Maintenon pour lui demander de veiller sur elle. De Braine-l’Alleud, le 10 juin 1708, il lui écrivait : « Il n’est, je crois, pas besoin que je vous la recommande, et vous en faites là-dessus plus que je ne puis vous en demander. Il ne me paroît pas jusqu’ici qu’elle se dissipe autant que par le passé ; mais, si cela étoit. Madame, je vous conjure de lui dire que je vous ai écrit pour la retenir, car, quoiqu’elle soit d’une grande exactitude à ses devoirs, je n’y sache rien de plus contraire que la dissipation. Faites-la aussi, je vous prie, songer à sa santé de ma part, car vous savez qu’elle n’y pense pas toujours en tout ce qu’elle fait. En un mot, je vous conjure. Madame, de

  1. Lettres de Madame de Maintenon et de la princesse des Ursins, t. I, p. 82 et 152.
  2. Voyez la Revue du 15 mai 1899.