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deux faits à l’Europe ; le Piémont ne sera pas rendu au roi de Sardaigne, les Légations ne seront pas rendues au Pape. Le Piémont formera une division militaire française, les Légations seront incorporées à la Cisalpine. Lucchesini écrivait, le 26 novembre : Les trois républiques, cisalpine, ligurienne et Lucques, « sont destinées pour faire partie d’une grande république italique qui, d’après un ancien projet, devait aller jusqu’à la mer Adriatique, aux Alpes de la Carniole et à Trieste. » L’ancien projet appartenait au Directoire, et Bonaparte avait dû, à Campo-Formio et à Lunéville, en déchirer cette page magnifique : Venise, ses lagunes, ses côtes de l’Adriatique, ses îles. Il n’attachait que plus d’importance à fortement constituer le reste, à y assurer la domination française, à y rendre impossible tout retour agressif de l’Autriche. C’est l’ouvrage que prépare, pour la Cisalpine agrandie, la grande consulte d’Italiens que Bonaparte réunit alors à Lyon ; il s’agit d’établir à Milan la citadelle politique de la France en Italie. Cet ouvrage devra précéder la paix définitive avec l’Angleterre ; implicitement, au moins, cette paix le consacrera. Et c’est ainsi que va s’entamer la négociation du traité « définitif. »

La paix semée sur de tels labours ne pouvait produire qu’une récolte de guerres nouvelles. Avant même qu’elle germât sous terre, le germe en était vicié. Et cependant, à coups de faux et à coups de serpe, on prétendit la moissonner. C’est qu’à Paris comme à Londres, cette illusion de la paix paraissait nécessaire au gouvernement des hommes ; que c’était la saison des sacrifices aux dieux ; et qu’il fallait, au moins en quelques jours de fête, rendre cet hommage indirect au travail et à l’humanité.


ALBERT SOREL.