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comme une forteresse qui a perdu ses ouvrages extérieurs. » « La puissance nouvelle de la France est comparable à celle de l’ancienne Rome, déclara l’évêque de Rochester ; supérieure même : une population immense, à la disposition d’un gouvernement plus actif, plus énergique que ne le fut celui de Rome sous le plus puissant des Césars ; une étendue merveilleuse de côtes, du Texel à Brest, qui mettra l’Angleterre en un danger formidable le jour où la France aura une flotte. » Addington ne put invoquer que la nécessité, la capitulation du continent : « Une nouvelle coalition est, en ce moment, impossible. » La convention fut approuvée par 114 voix contre 10 ; mais le Parlement, désenchanté, devenait hostile.

Aux Communes, le même jour, la discussion, plus violente, fut plus significative encore. Hawkesbury montra les avantages de la paix : Ceylan, la Trinité ; sous ce rapport, ce traité valait celui d’Utrecht. Sans doute la France était agrandie, mais la Russie, l’Autriche, la Prusse s’étaient accrues aussi par les partages de la Pologne. Pitt tourna le débat à l’apologie de sa politique : il est regrettable que l’Angleterre ne garde point Malte ; mais le jacobinisme est vaincu, dépouillé de son prestige ; il a prouvé que le despotisme militaire est sa conséquence naturelle ! — Plusieurs membres s’étonnent du silence gardé sur le Piémont : les ministres se taisent. On s’indigne. « Agissons d’après le même principe, s’écrie Thomas Grenville, signons le traité définitif, et, dans douze mois, nous aurons la guerre avec la France[1] ! » Le 4 novembre, Windham prononça son réquisitoire : « La France a certainement le pouvoir de nous détruire ; nous espérons qu’elle n’en a pas l’intention. Nous sommes un peuple conquis, Bonaparte est aussi bien notre maître qu’il l’est de l’Espagne, de la Prusse. » Puis, évoquant Messaline et alléguant Juvénal : — Croire que la France, lassata sed non satiata, va s’arrêter, se reposer, c’est ignorer le propre de l’ambition, en particulier de l’ambition française. Croire que Bonaparte ne fera pas de nouvelles conquêtes est une extravagance. « La guerre ne dépend ni des conventions qui seront signées entre les deux gouvernemens, ni des actes d’hostilité qui pourraient se produire entre les deux peuples, soit sur terre, soit sur mer ; elle repose tout entière sur la survivance ou la disparition de ce

  1. Il ne se trompait pas. On verra dans une étude suivante comment la guerre faillit éclater en octobre et novembre 1802.