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toute la hauteur des spéculations que l’opinion avait engagées sur la paix.

Edouard Cook, homme d’État et publiciste, ancien sous-secrétaire d’État au département de la Guerre, ami particulier de Castlereagh, lui adressa une lettre ouverte qui fit tapage et trouva de profonds échos : « La guerre, disait-il, eût été préférable à une paix qui ruinera l’Angleterre, anéantira ses finances, renversera sa puissance sur terre et sur mer. Nous permettons à la France, accrue des Pays-Bas, de former un système politique et commercial avec la Hollande, l’Espagne, la Suisse, l’Italie ; nous lui rendons le commerce des Antilles ; voilà soixante-dix millions de livres engloutis ! Nous avions des traités de commerce avec tous ces pays, nous n’en avons plus qu’un seul, avec Naples ! La France va monopoliser le trafic qui nous échappe, ruiner notre industrie qui émigrera avec ses capitaux, car l’argent n’a pas de patrie. La guerre, au contraire, maintiendrait notre monopole commercial, notre suprématie aux colonies ; elle ménagera des débouchés immenses à nos produits ! L’Espagne touche à la banqueroute ; qu’elle saisisse le Portugal, elle nous livre le Brésil ! Trois ans de guerre prolongée nous seraient moins onéreux que cette paix, et la France ne les pourra soutenir, car elle n’a ni crédit ni finances ! »

Ainsi raisonnait ce politique réaliste et, avec lui, tout ce qui, en Angleterre, faisait de la prospérité et de l’extension du pays l’article unique de la Grande Charte extérieure, l’article unique des Droits de l’homme anglais.

L’événement montra que ce calcul était juste : treize ans de guerre acharnée menèrent l’Angleterre à son but : la Hollande rétablie en la garde des Pays-Bas, les barrières d’Utrecht relevées, les Français chassés de l’Allemagne et de l’Italie, la marine française anéantie, l’industrie et le commerce anglais dominant la moitié du monde, et l’Angleterre plus riche, avec sa dette de milliards, que la France, en ses années de triomphe, avec les tributs de l’Europe conquise.

Assaillis par cette tempête, les ministres se dérobèrent péniblement, invoquant les circonstances atténuantes. « Ils ont vu, écrivait un Russe, que les grandes puissances qui pouvaient, comme l’Autriche et la Prusse, faire rentrer la France dans ses anciennes limites n’ont jamais songé qu’à leur haine mutuelle… et à leur propre agrandissement ; que l’Angleterre, nonobstant