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royaume d’Étrurie, le Portugal était subjugué et le Piémont annexé, en fait, à la République.

L’Angleterre était seule maîtresse des mers ; mais la France tenait le continent. Différer davantage, c’était s’exposer à une descente, à la fermeture des ports, à la cessation du commerce européen. Il ne restait qu’un moyen d’arrêter Bonaparte, lui donner cette paix qu’il réclamait si impérieusement. Toutefois, en signant des préliminaires, les ministres anglais n’entendaient nullement reconnaître les nouveaux établissemens de la République. Ils se réfugièrent dans l’équivoque et s’arrêtèrent à cet expédient : restreindre les préliminaires aux seuls articles indispensables, ainsi que l’on fait en un armistice, où les positions respectives ne sont déterminées que sur le front des deux armées et sur les points de contact immédiat, le reste, c’est-à-dire tous les espaces, en arrière, sur les côtés, et tous les mouvemens qui s’y opèrent, demeurant imprécis et abandonné à l’imprévu.

Bonaparte avait le même intérêt à écarter de la convention des articles qui eussent rendu la signature impossible. Il voulait la paix ; il voulait aussi la réunion du Piémont, clef de l’Italie, et il savait que l’Angleterre n’y donnerait jamais son consentement explicite. Il savait que l’Angleterre réclamerait un traité de commerce, et il était bien décidé à le refuser. Ajourner lui suffisait. Il se figurait que la paix, si incertaine qu’elle fût, paraîtrait si douce, puis si nécessaire aux peuples, que les gouvernemens n’oseraient de longtemps la rompre. Dans l’intervalle, étant maître du continent et arbitre de l’Allemagne, il organiserait l’Europe de telle sorte que toute coalition contre la France y deviendrait chimérique ; bien plus, si l’Angleterre menaçait de reprendre la lutte, il coaliserait le continent contre l’Angleterre. Si, par corruption ou cabale, l’Angleterre entraînait quelque puissance dans sa querelle, il écraserait cette alliée des Anglais par la masse de toutes les autres puissances, alliées de la République.

Il lui importait donc assez peu que la convention de Londres reconnût telles limites ou telles dépendances à la République. Raisonnant sur les dispositions du peuple anglais aussi gratuitement et sur des renseignemens aussi erronés que faisaient les ministres anglais à propos de la France, il se flattait de trouver dans l’opinion, dans le parti libéral, dans les commerçans, gens