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de Suez, qui joindrait les mers de l’Inde à la Méditerranée, est déjà tracé ; c’est un travail facile et de peu de temps. » Du coup, l’armée d’Egypte ressuscite et reprend la marche interrompue par les remparts de Saint-Jean-d’Acre : « Les armées de la République sous les murs de Prague, de Vienne et de Venise ne prouvent à l’Europe que ce qu’elles lui ont déjà prouvé ; l’armée d’Orient assise sur la Mer-Rouge, la Syrie et l’Afrique, excite toutes les espérances, toutes les curiosités et toutes les sollicitudes. L’Anglais tremble et frémit. Abandonné de l’Europe, en guerre ouverte avec la Russie qui se trouve aujourd’hui notre meilleure amie, il se trouve environné de craintes. » La route des Indes va s’ouvrir ; les Russes tourneront l’Angleterre par la Perse ; la France les attaquera de front par la Mer-Rouge, les tournera aussi par la route du Cap ; elle occupera Madagascar et s’y retranchera. Dans l’autre hémisphère, il voit la Louisiane, récupérée, rayonner sur le Mexique, les Antilles, la Guyane. Et, dans le temps même où Pitt pose les principes du despotisme maritime de l’Angleterre, il y oppose le droit des neutres. De part et d’autre, c’est le mot d’ordre de la guerre jusqu’en 1813 : « Le temps est venu où les puissances maritimes doivent se prononcer ; il ne peut plus y avoir de milieu : ou de fermer leurs ports aux Anglais, ou de s’attirer toute la disgrâce du gouvernement français. »

C’est comme un premier éclair de la fameuse lettre à Alexandre, du 2 février 1808 ; et voici le premier coup de ce qui sera, en 1808, la révolution, puis la guerre d’Espagne. Il faut que les Espagnols se mettent en campagne, délogent les Anglais du Portugal : « Il faut bien que la République leur ôte le seul allié qui leur reste sur le continent[1]. » Bonaparte exige des Portugais la fermeture de leurs ports aux Anglais, 15 ou 20 millions, la Guyane. Ils refuseront : l’Espagne les y obligera. Si l’Espagne s’y refuse, malheur à elle ! Il agira lui-même et énergiquement. Mais, si elle se montre docile, il se montrera généreux : le duché de Toscane à l’infant de Parme, avec le titre de roi d’Etrurie, le royaume de Naples, au besoin. Mais qu’ils arment, qu’ils fournissent des vaisseaux ! « Je trouve honteux pour la monarchie espagnole que deux vaisseaux en bloquent sept devant Cadix. Ce ne sont plus ces fiers Castillans qui soumirent le Nouveau

  1. A Talleyrand, 7, 21 janvier ; 4, 13 février 1801 ; à Lucien, février 1801.