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neutres, en arborant un pavillon sur un sloop ou sur une barque de pêche, puissent transporter les tissus de l’Amérique du Sud dans les ports de l’Espagne ou les matériaux de constructions maritimes à Brest et à Toulon… On parle de la destruction de la puissance maritime de la France ; mais croit-on sérieusement que la marine eût souffert comme elle l’a fait, si, depuis le commencement de la guerre, on n’avait pas agi d’après le même principe ? Dans la ruine du continent, dans le désappointement de nos espérances sur ce point, que serait devenue la sécurité de notre pays, sans sa prépondérance maritime ? Si, une fois, elle disparaissait, l’esprit public disparaîtrait aussi. »

Pitt donna sa démission. Addington le remplaça, avec Hawkesbury aux Affaires étrangères : ministre inconnu de l’Europe, qu’il ne connaissait pas ; ministère de cour et d’opinion qui n’avait d’autre raison d’être que sa docilité aux passions du public et aux caprices du roi. Mais, si bornés que fussent ces ministres et si déférens envers la nouvelle majorité des Communes, ils demeuraient, à l’égard du continent, hautement et simplement anglais. Ils voulaient la paix fructueuse. Pour l’obtenir, ils poussèrent hardiment en avant et occupèrent, comme le faisait Bonaparte, des positions offensives, déconcertant les desseins de l’adversaire.

Le plus redoutable de ces desseins, — après la descente, — c’était la ligue des neutres, préface d’une coalition du continent entier, du blocus de l’Angleterre, investie dans son île, paralysée en son être et menacée de ruine par ce commerce et cette industrie mêmes qui étaient pour elle l’objet fondamental de la guerre aussi bien que de la paix. Paul Ier, revenant à la grande tradition de Catherine, avait renouvelé, avec le Danemark, la Suède, la Prusse, la fameuse ligue de 1780[1]. Il s’agissait de tuer cette ligue en son germe, par un coup de terreur. Pitt avait disposé la flotte ; dès que la mer fut libre, Addington l’envoya dans la Baltique. L’Angleterre allait montrer comment elle entendait conclure et exploiter la paix : c’était la domination des mers par ses vaisseaux et le monopole du marché européen pour son industrie. Il lui fallait la sujétion des neutres, l’ouverture de leurs ports, le privilège de la navigation des grands fleuves ; elle y arrivait par son élément, la mer, par sa force vive, ses flottes.

  1. Traités des 16 et 18 décembre 1800. Pétersbourg.