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La paix, croit-on, va ouvrir sur le continent un exutoire colossal à cette surabondance de sève et, par suite, tenir en activité croissante cette gigantesque machine à fabriquer et à exporter. La France, en particulier, qui aspire aux jouissances de la vie, au bien-être, au luxe, peut devenir le plus fructueux de ces débouchés. La paix, habilement exploitée, sera la plus productive des spéculations. Le traité de paix serait accompagné d’un traité de commerce, placement à gros intérêts des bénéfices de la guerre.

Les banquiers, les négocians, les fabricans découvrirent tout à coup, dans la paix, une source de profits plus abondans que ceux qu’ils tiraient de la guerre ; alors ils demandèrent la paix. Le petit peuple la réclamait à grands cris, les cris horribles de la misère et de la faim ; disposé, comme tous les malheureux, à prendre tout changement pour un bien et, pour une fête publique, toute occasion de se retourner sur sa litière.

Demander la paix, c’était vouloir la retraite de Pitt. Pitt ne faiblissait pas ; obstiné, soutenant les émigrés, fomentant la guerre civile, préparant un débarquement à Brest, armant une flotte redoutable pour écraser les neutres dans la Baltique, une autre pour porter en Égypte un corps d’occupation ; « par haine passionnée de la France, » par haine raisonnée de Bonaparte, qu’il jugeait plus odieux que la Terreur et estimait plus funeste que toute la Révolution réunie. Mais le roi George, dans ses intervalles lucides, n’éprouvait la supériorité de ce grand ministre que pour s’impatienter du joug. Cet Allemand, hautain et grossier, se fit tout à coup peuple, par jalousie de Pitt. Pitt se vit abandonné ; à aucun prix, il ne voulait signer la paix. La paix, d’ailleurs, serait sa revanche. Maladif, criblé de dettes, il éprouvait aussi le besoin de se retirer, de se refaire, d’attendre.

Le Parlement se réunit le 2 février 1801. Lord Fitz-Gerald déposa une demande d’enquête sur « les causes de l’effondrement des efforts de la politique anglaise. » Pitt prononça un de ses plus puissans discours, moins l’apologie de sa politique passée que le programme de sa politique à venir, le programme du lendemain de la paix, gros des luttes futures : « La question est de savoir si nous devons permettre que la marine de nos ennemis soit pourvue d’hommes et de vivres ; si nous devons permettre qu’on apporte des munitions et des provisions dans les ports dont nous faisons le blocus ; si nous devons permettre que des nations