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a transigé. Pour conserver cette paix, Bonaparte doit se maintenir dans ces positions qui lui ont permis de la conclure. S’il s’en retirait, ce serait pour voir, comme le Directoire en 1799, non seulement les « limites naturelles » compromises, mais les « anciennes limites » même menacées. D’où la nécessité de demeurer maître des affaires en Hollande, en Suisse, dans l’Empire, en Italie. La suprématie, qui est une conséquence du traité, en est la condition essentielle de durée. Il n’était d’ailleurs ni dans les goûts de la nation française ni dans le caractère du Premier Consul d’en rien abandonner. Bonaparte, au contraire, ne songeait qu’à l’étendre et à en procurer à la France tous les avantages avec toute la gloire. « Ce n’est certes pas, » disait, en septembre 1795, Merlin à la Convention, parlant au nom du Comité de Salut public ; « ce n’est certes pas pour rentrer honteusement dans nos anciennes limites que les armées républicaines vont, avec tant d’audace et de bravoure, chercher et anéantir au-delà de ce fleuve redoutable les ennemis de notre liberté. » Ce n’était pas pour livrer l’Allemagne à la Prusse, l’Italie à l’Autriche et la Méditerranée aux Anglais que Bonaparte avait vaincu à Marengo, et Moreau à Hohenlinden.

Enfin, comme en 1797, après Campo-Formio, la paix ne serait qu’un armistice continental tant que l’Angleterre ne l’aurait pas ratifiée.

L’Angleterre était aussi victorieuse sur les mers, aux Antilles, aux Indes, que la France sur le continent ; mais, malgré la suprématie que ses flottes exerçaient ; malgré la conquête des colonies de la France et de la Hollande, la suppression de toute concurrence de ces deux nations ; malgré le monopole du commerce, la fructueuse contrebande dans l’Amérique espagnole ; malgré les progrès de Wellesley dans l’Inde et l’immense empire qui s’y ouvrait ; malgré la prise de Malte, la prise imminente de l’Egypte, l’Angleterre s’estimait humiliée parce que la France était glorieuse, malheureuse parce que la France n’était pas ruinée, vaincue parce qu’elle n’avait pas chassé la France des Pays-Bas et de l’Italie, et qu’elle ne dominait pas seule la Méditerranée.

Mais l’Autriche transigeait et, en Russie, Paul Ier inclinait à la paix, à l’entente, à l’alliance peut-être avec la France. La France n’allait-elle pas, pour en finir, reprendre le dessein de descente qui épouvantait l’Angleterre ? Il suffisait d’une nuit obscure,