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REVUES ÉTRANGÈRES

UN ROMAN IRLANDAIS


Luke Delmege, par P. A. Sheehan, 1 vol., Londres, Librairie Longmans, 1902.


M. Sheehan n’est pas de ces romanciers anglais dont les livres se vendent à plusieurs centaines d’éditions. Je crois bien que le public ordinaire des lecteurs de romans ignore jusqu’à son nom, comme l’ignorent, sans doute, les critiques en vogue, qui cependant ne se font pas faute de découvrir tous les jours une demi-douzaine de talens nouveaux. Et peut-être M. Sheehan ne se soucie-t-il guère de ce public, ni de ces critiques. Irlandais, on devine que c’est à ses compatriotes qu’il s’adresse surtout, à ceux d’Irlande et à ceux d’outre-mer, membres épars d’une race vagabonde. Il écrit en anglais, et même, autant du moins que je puis juger, en excellent anglais, avec une élégante simpliste qui lui permet de passer sans effort des scènes les plus familières aux plus pathétiques, de menus traits d’observation locale à de beaux rêves pleins de noblesse et de poésie. Mais, sous cet agrément de leur forme, ses romans ont un air moins anglais que s’ils étaient traduits du russe ou de l’espagnol. Idées et sentimens, la façon de concevoir les caractères et celle de les apprécier, tout y est, pour ainsi dire, exactement à l’inverse de l’esprit anglais. Et l’on éprouve une impression singulière à lire, dans la langue de Thackeray et de George Eliot, ces romans où, de page en page, aux « vertus païennes de l’ordre et de la propreté, » sont préférées les vertus plus chrétiennes de la résignation et de la pauvreté, de l’enthousiasme et de l’humilité. Puis, M. Sheehan n’est pas seulement Irlandais : il est