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est très digne d’en éprouver le tourment. Parmi les nouveaux venus dans la poésie, il n’en est peut-être pas qui soit plus richement doué. Son dernier recueil est très supérieur aux précédens pour la perfection de la facture. Les images heureuses, les trouvailles de mots et de nuances y abondent. Le vers a une ampleur, une plénitude d’harmonie dont l’oreille reste enchantée.


Si peut-être, à l’heure qu’il est, personne ne fait de vers plus sonores que M. Charles Guérin, personne aussi n’en écrit de plus délicats que M. André Rivoire. Très pure, très nuancée, très fine de tons, d’une harmonie comme assourdie, son œuvre tout entière est jusqu’ici une sorte de symphonie en blanc. Dans son premier recueil, les Vierges[1], il a, audace rare dans notre littérature, tenté d’écrire un poème de candeur, allant des rêveries innocentes de la jeune fille, aux extases pieuses de la nonne. Dans le Songe de l’Amour, c’est encore d’un amour blanc qu’il analyse les émotions subtiles, ayant repris, après beaucoup d’autres, cette gageure impossible à tenir de l’amour platonique. Les retours, les indécisions, les nuances changeantes et mourantes, font le charme ingénu et discret des vers de M. Rivoire.

Et rarement avait-on donné des travaux de la campagne, des labours et des semailles, une impression aussi sincère et aussi franche que l’a fait M. Léonce Depont dans ce recueil des Pèlerinages[2], dont plusieurs pièces sont toutes prêtes pour les Anthologies.

J’aurais bien d’autres noms à citer, si je voulais faire une revue complète de nos poètes. Mais je n’y prétends guère. J’ai voulu seulement indiquer dans quelles conditions se trouve le poète d’aujourd’hui. Or, nous avons constaté qu’on peut ouvrir quelques-uns des recueils, les derniers en date, et y trouver beaucoup de plaisir. On s’aperçoit tout de suite que ce sont des vers et qu’ils sont écrits en français ; et il y avait si longtemps que ce minimum de jouissance nous était refusé ! Les poètes ne se mettent plus l’esprit à la torture pour combiner de puérils jeux d’allégories. Ils n’espèrent pas faire lenir dans le cadre de chaque poème la totalité de la sagesse humaine et le secret de l’univers. Mais ils nous disent tout uniment qu’ils étaient tristes un soir, qu’ils ont pleuré ou qu’ils se sont réjouis. Ils notent un joli effet de lumière. Ils composent un tableau. Ils ne

  1. André Rivoire, les Vierges, — Berthe aux grands pieds, — le Songe de l’Amour, 3 vol. Lemerre.
  2. Léonce Depont, Pèlerinages, 1 vol. Lemerre.