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Il s’accusait encore d’avoir, dans un moment de découragement, pensé à quitter l’armée pour aller rejoindre celle qu’amenait le maréchal de Berwick. Mais il s’applaudissait d’avoir renoncé à ce parti qui aurait produit un mauvais effet, et il attendait avec soumission les ordres du Roi. « J’espère, ajoutait-il, qu’il ne me retirera point d’ici, mais, à moins qu’il ne me l’ordonne expressément, je ne crois pas que je dusse quitter d’ici sans réplique, et mon départ ferait un mauvais effet... Priez Dieu, plus que jamais, qu’il me donne des lumières et du courage de toutes manières, et qu’il me fasse de plus en plus connaître mon impuissance et mon néant, que je ne doute pas que la prospérité ne m’eût enflé et dissipé, et, en même temps, je n’avais point cette parfaite confiance en Dieu[1]... et s’il veut encore se servir de moi pour cela, ce sera un effet de sa pure miséricorde, car je ne lui ai pas été aussi fidèle que je m’y étais engagé par ses nouveaux bienfaits. » Contre Vendôme, point de récrimination, sauf cette phrase : « Je vous envoie la lettre pour le maréchal de Boufflers. Il est peut-être plus lent que M. de Vendôme, mais il ne serait pas si confiant et si présomptueux. »

Les choses en fussent cependant demeurées là, si Vendôme n’avait porté ses récriminations que devant Louis XIV. Mais il n’eut pas cette mesure. Vainement Louis XIV lui écrivait encore pour lui recommander de se concerter avec le Duc de Bourgogne, et il ajoutait : « Tout ce que j’ay vu et lu jusqu’à présent me confirme qu’il veut s’instruire, et qu’il pense juste sur la plupart des choses qui se peuvent faire. Il ne sera pas moins honorable pour vous qu’il ne sera glorieux pour luy de soutenir la bonne volonté des habitans de Gand et de Bruges, et de finir la campagne en conservant l’une et l’autre de ces places[2]. » Vendôme ne désarma pas. Tandis que le Duc de Bourgogne, en écrivant à Mme de Main tenon, recommandait que « sa lettre ne passe pas le Roi et la Duchesse de Bourgogne, » Vendôme voulut au contraire porter la querelle devant le public. Il avait alors auprès de lui ce singulier personnage qui devait plus tard, comme cardinal et ministre du roi d’Espagne, intervenir d’une façon si singulière dans les affaires de la France en fomentant la conspiration de Cellamare, mais qui n’était encore que l’abbé Alberoni. Ce fils d’un jardinier et d’une fileuse de lin, en sa jeunesse clerc sonneur

  1. Il y a dans la lettre originale trois lignes raturées de la main de Beauvilliers.
  2. Dépôt de la Guerre, 2081. Le Roi à Vendôme, 16 juillet 1708.