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canal de Gand à Bruges. Après s’être excusé, au début de sa lettre, de ce qu’elle avait de « contraire à la charité du prochain, » et après avoir rendu hommage au courage déployé par Vendôme, qui « a essuyé lui seul plus que tout le reste de l’armée ensemble, » il résumait vivement toutes les fautes commises par lui non seulement la veille, mais le jour même de la bataille, et il concluait en disant : « Enfin, Madame, dans le courant de la guerre et dans le combat, il est tout de même nullement général, et le Roi s’y trompe fort s’il a une grande opinion de lui. Je ne le dis pas seul. Toute l’armée en parle de même. Il n’a jamais eu la confiance de l’officier, il vient de la perdre du soldat. Il ne fait que manger quasi et dormir, et en effet sa santé ne lui permet pas de résister à la fatigue et par conséquent de pourvoir aux choses nécessaires. Ajoutez à cela cette extrême confiance que l’ennemi ne fera jamais ce qu’il ne veut pas qu’il fasse, qu’il n’a jamais été battu, et qu’il ne le sera jamais ; ce qu’il ne peut pas dire assurément depuis avant-hier. Voilà où nous en sommes. Jugez, Madame, si les intérêts de l’Etat sont en bonne main[1]. » Il concluait en demandant que le Roi lui donnât non pas seulement « la voix d’exhortation » qu’il avait eue seulement jusqu’à présent, — et Vendôme le lui avait rappelé tout haut, quand il s’agissait de décider la retraite, — mais « la voix de décision avec l’avis des maréchaux de France et de quelques officiers sages et habiles. » Craignant ensuite d’en avoir trop dit, il s’empressait de s’accuser lui-même avec une humilité touchante. Il trouvait à se reprocher, dans cette affaire, et trop de vivacité d’un côté, et trop de langueur de l’autre, et trop d’abattement ensuite. « Car j’avoue, ajoutait-il, que j’ai eu tous les sentimens d’un Français. Le plus mauvais de tous serait de perdre courage, et c’est dans les plus mauvaises occasions qu’on en a le plus besoin. Il faut espérer que Dieu ne nous abandonnera pas tout à fait, et que les suites de cette affaire ne seront pas aussi fâcheuses qu’on pouvait le craindre d’abord. »

La lettre à Beauvilliers était du même ton, plus humble encore : « La nature souffre beaucoup, lui écrivait-il ; notre situation est violente. Nous sommes dans la peine et l’humiliation. J’espère que Dieu, après nous avoir châtiés, ne nous perdra pas tout à fait et nous fera sortir heureusement de ce triste état. »

  1. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvilliers, par le marquis de Vogüé, p. 228.