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« Le soir, au Palais-Royal, et le lendemain, on était dans un tel état d’abattement qu’on se regardait sans oser se rien dire ; tout le monde s’attendait à la guerre civile, à cause de ces actes d’insubordination et du renvoi de M. Necker que 20 000 hommes de la populace allèrent réclamer à Versailles, le soir même. Si le roy ne leur avait pas cédé, ils auraient mis le feu au château, de même que si les troupes de garde n’avaient pas refusé de tirer lorsque le Comte d’Artois cria : « Aux armes ! ! ! »

« Le 27, les deux premiers Ordres achevèrent de se réunir au Tiers et, à présent, tous trois s’occupent ensemble des mesures à prendre pour maintenir la tranquillité publique. On en a grand besoin, car, journellement, la populace se livre à des excès ; elle a enfoncé les portes de la prison de l’Abbaye pour délivrer onze soldats des Gardes françaises qui y avaient été enfermés, le roy a fait grâce à ceux-ci, mais il est facile de voir qu’il y a été contraint par force.

« On dit que les députés de la noblesse demandent à se retirer pour deux mois, afin d’obtenir de leurs commettans des pouvoirs nouveaux et plus étendus. C’est raisonnable de leur part, mais je doute qu’ils obtiennent cette autorisation. »


« 7 août. — Depuis la prise de la Bastille, l’agitation s’est répandue jusque dans les provinces qui, à l’instar de Paris, se mêlent de faire sauter des têtes ; les paysans, en divers lieux, ont brûlé les châteaux, afin de détruire les chartriers avec tous les titres féodaux qu’ils renferment. Il est vrai de dire que, chez nous, les paysans sont heureux comme des roys, en comparaison de ceux de ces pays-ci que l’on écrase...

« On dit, et je n’ai pas de peine à le croire, que plus de 600 familles ont passé à l’étranger. On est mal reçu à Londres, paraît-il.

« N’ayez nulle inquiétude à mon sujet, ma chère tante, car, pour l’instant, les particuliers sont plus en sûreté à Paris qu’ailleurs. Il nous arrive, chaque jour, des canons de différens endroits. Les provinces, par exemple, inspirent de grandes craintes, on se demande comment elles recevront la nouvelle de ce qui s’est passé dans la nuit du 4 août à l’Assemblée nationale, où tous les Ordres sont venus tour à tour faire l’abandon de leurs privilèges. Louis XVI, qui a accepté ce sacrifice, a été proclamé le Restaurateur de la Liberté française. M. le duc de Liancourt