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même rade naturelle si bien protégée par les bancs de Flandre. Somme toute, c’était un simple déplacement d’une lieue à l’Ouest ; c’était surtout un expédient très ingénieux.

L’Angleterre et la Hollande protestèrent avec violence contre cette création tout d’une pièce qui leur parut être une violation du traité d’Utrecht. Il fallut encore se résigner et détruire en grande partie l’ouvrage si rapidement exécuté. Cette nouvelle démolition réduisit Dunkerque à un état déplorable. L’émigration devint générale, et la ville touchait à sa ruine lorsque, le 31 décembre 1720, une violente tempête, coïncidant avec une marée exceptionnelle poussée par les vents violens du Nord- Ouest, amena la rupture de l’énorme batardeau que les Anglais avaient construit au-devant du port pour le barrer. Cet événement fut le salut. Le port était débloqué. Quelques bateaux pêcheurs commencèrent à y rentrer. Des navires marchands suivirent leur exemple. Le commerce s’y rétablit rapidement ; et, pendant tout le XVIIIe siècle, les courageux habitans de Dunkerque luttèrent pied à pied avec les commissaires anglais acharnés contre toutes les tentatives de restauration. Ils durent subir de nouveau leurs terribles exigences. Le traité d’Aix-la-Chapelle (1748) réclama l’exécution rigoureuse de l’article 9 du traité d’Utrecht ; celui de Paris (1763) l’aggrava dans des termes plus blessans encore : « Quant à la ville et au port de Dunkerque, portait-il à son article 5, ils seront mis à l’état fixé par le traité d’Aix-la-Chapelle et les traités antérieurs ; les forts qui défendent l’entrée du port seront détruits ; la cunette sera comblée et il sera pourvu à la salubrité de l’air et à la santé des habitans, à la satisfaction de Sa Majesté Britannique. » C’en eût été fini de Dunkerque, et les prétentions de l’Angleterre n’eussent plus connu de bornes sans le dérivatif que lui imposa la guerre de l’indépendance des Etats-Unis. Notre alliance avec la jeune Amérique, la glorieuse campagne de notre marine, les brillans exploits des corsaires de Dunkerque, qui, à eux seuls, prirent près de 1 200 bâtimens aux Anglais, les amenèrent à résipiscence ; et le traité passé à Versailles en 1783, mit un terme à cette odieuse mainmise, rendant pour toujours la liberté à la ville si longtemps opprimée.

L’Empire tout-puissant ne lui accorda pas cependant de faveurs marquées. Maître de la plus grande partie de l’Europe, Napoléon préférait naturellement la magnifique embouchure de