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et ouvertes, les informations particulières ne pouvaient suppléer au silence officiel. Lors même qu’elle n’eût pas été dans ses habitudes, Louis XIV aurait été obligé à cette réserve, par l’ignorance où le laissaient les deux chefs entre lesquels le commandement de son armée était si malheureusement partagé. Ni l’un ni l’autre ne lui adressaient en effet, comme c’était l’usage, un compte rendu détaillé de la bataille. Le Duc de Bourgogne se bornait à l’informer du mauvais succès de la journée dans une lettre très courte, qui a été malheureusement perdue, ainsi que celle, plus longue et plus explicite, qu’il adressait à la Duchesse de Bourgogne. Vendôme, de son côté, lui en faisait parvenir deux, fort courtes également, mais toutes deux pleines de récriminations. Le Roi les reçut en même temps. Dans l’une, Vendôme s’exprimait ainsi : « Je ne feray aucun détail à Votre Majesté. J’auray seulement l’honneur de luy dire que les ennemis n’auroient eu aucun avantage sans celuy que nous avons bien voulu leur donner en nous retirant. Je m’y étois opposé très longtemps, mais M. le Duc de Bourgogne l’a désiré d’une façon qu’il m’a fallu céder... Nous avons gagné du terrain sur l’ennemi ; nous n’avons perdu ni artillerie, ni bagages, ni drapeaux, ni étendards et nous avons pris un drapeau, un étendard, une paire de timbales. Voilà, Sire, au vray, ce qui s’est passé ; mais je suis inconsolable, car, pendant une heure, j’ai vu l’affaire gagnée, et, si j’avois été soutenu, comme je devois l’être, elle eût été complète[1]. »

Dans l’autre, il allait plus loin. Après avoir rendu hommage, un peu, semble-t-il, pour la forme, aux preuves de valeur que le Duc de Bourgogne avait données, il attribuait l’échec à l’amas de « vils guerriers » qui abusaient de la confiance du prince, et il ajoutait : « Comme je me trouve à présent inutile, avec gens qui ne défèrent en rien à mon rang, ni à mon expérience, qui me priment dans les occasions essentielles, j’ose supplier très humblement Votre Majesté de trouver bon que je me retire. Accordez-moi cette grâce, je vous en conjure, afin d’épargner à un ancien général de vos armées la honte de n’y être plus en sa place, et d’en occuper une qui ne le fait plus, que le triste témoin du peu de succès de vos armes[2]. »

  1. Dépôt de la Guerre, 2081, Vendôme au Roi, 12 juillet 1708.
  2. L’original de cette lettre ne se trouve point au Dépôt de la Guerre. Nous ne la connaissons que par le récit de Bellerive, que M. de Boislisle a publié dans le t. XVI, p. 362, de son édition de Saint-Simon ; par une copie qui se trouve à la Bibliothèque Nationale, Fonds Cangé, f° 160, n° 27 ; et par le Recueil de pièces intéressantes, publiées par de La Place en 1787. On pourrait donc douter que Vendôme ait écrit au Roi sur ce ton, si, dans sa réponse, le Roi ne parlait des deux lettres qu’il a reçues de lui.