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bifurcation qu’on appelle le canal de Bourbourg et qui se soude, comme la précédente, aux canaux qui aboutissent à Dunkerque. Sur la rive gauche, à peu près à égale distance entre l’origine du canal de la Colme et le canal de Bourbourg, se détache enfin le canal de Calais, qui a été aussi, à l’origine, un bras naturel de l’Aa.

Tous ces canaux ont le même mouillage de 2 mètres et remplissent une double fonction : la navigation et l’assainissement. Ce sont les artères principales d’un immense réseau de fossés, de roubines, de rigoles de toutes dimensions désignés, sous le nom générique de « watergands, » quelques-uns navigables pour les nacelles à fond plat et les barques de très faible tirant d’eau, véritables organes de vie et de mouvement, servant à la fois au dessèchement, à l’irrigation et aux transports. Sans un entretien de tous les jours, ces milliers de watergands, dont l’eau finit toujours par s’écouler à la mer au moyen de « tirages » pratiqués aux heures de la basse marée, seraient depuis longtemps en partie colmatés. Les trois grandes branches de l’Aa régulièrement canalisées aujourd’hui, et dans lesquelles le niveau de l’eau et le mouillage sont réglés avec une précision absolue, seraient elles-mêmes devenues, comme les anciens bras du Rhône dont on peut suivre les traces sur le territoire de la grande et de la petite Camargue, des « lônes » indécises et malsaines qu’on aurait pu nommer des « Aas-morts, » comme on dit les « Rhônes-morts » de la Basse-Provence. Le pays serait resté à l’état de marécage insalubre, et le mélange des eaux douces et des eaux salées aurait continué à y développer, comme au moyen âge, les germes de toutes les fièvres pernicieuses. Tout a été merveilleusement transformé. A l’extrémité de cet immense échiquier, des écluses perfectionnées, munies de portes d’ebe et de flot, permettent de retenir les eaux dans les deux sens. Les portes sont fermées à la marée montante. Quand le flot baisse, les eaux douces pèsent à la fois contre elles et se répandent dans les biefs maritimes qui les conduisent à la mer. L’écoulement des eaux intérieures est ainsi régulièrement assuré. Pendant la saison des sécheresses, on a même soin de les retenir par des barrages temporaires, et on les fait déverser ensuite par une infinité de rigoles sur la terre altérée ; et c’est ainsi que l’homme a pu créer une des plus riches provinces du Nord de la France, et que des moissons, des troupeaux, de riches fermes