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et devrait même être celui de toute la région. Les véritables Pays-Bas de l’Europe du Nord-Ouest, si l’on donnait aux lieux la désignation rationnelle qui devrait résulter de leur topographie, de leur relief, de leur aspect, de la constitution de leur sol, en un mot, de tous leurs caractères distinctifs, commencent en réalité en France, immédiatement après le cap Blanc-Nez, à deux lieues à peine à l’Ouest de Calais.

Sur presque tout le développement de la côte se sont accumulés des bourrelets de vase et de sable mobiles, qui ont peu à peu cheminé sur l’estran et ont formé de longues et étroites bandes de dunes, les unes isolées, les autres rattachées à des plateaux insubmersibles. Derrière ces dunes, un dédale de marais et de forêts. C’était, à l’origine de notre ère, le pays des Ménapiens et des Morins[1]. « Même dans les temps calmes et sereins, dit Strabon, le ciel est obscurci pendant la plus grande partie du jour. On n’y voit briller le soleil que pendant trois ou quatre heures vers le Midi. Toute la région est humide et couverte de brouillards, et les habitans trouvent dans les marécages et les forêts qui les entourent une retraite assurée[2]. » Point de villes ; quelques masures seulement. La mer, en se répandant sur ce sol d’une horizontalité presque absolue y apportait tous les jours des sables, des débris de rochers pulvérisés, et les vases qu’elle tenait en suspension dans ses eaux troubles et grises et qu’elle abandonnait en se retirant. Le sol s’exhaussait ainsi peu à peu. Les vents du large, agissant de leur côté, amoncelaient toujours de nouveaux remblais à la limite de l’estran. Quelques broussailles, la végétation spontanée de rares plantes marines et le travail de l’homme ont tout d’abord fixé, tant bien que mal, de distance en distance, des lambeaux de ce territoire incertain. Çà et là, des bancs à peine émergés de quelques centimètres au-dessus des plus hautes mers sont devenus des îles, et se sont lentement élargis et affermis. L’homme en a pris péniblement possession ; il a pu y vivre longtemps de la pêche et de la chasse, et tout autour, il a essayé quelques grossières cultures. Mais la situation est restée longtemps précaire, et il a compris de très bonne heure que l’invasion périodique des eaux de la mer s’opposerait toujours à un établissement régulier. Tous ses efforts se sont portés dès lors à rendre continue la barrière de

  1. César, de Bello Gallico, III, XXXVIII.
  2. Strabon, Géographie, l. IV, ch. V, 2.