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de manifester ce génie. Et, si la Prusse est toute en lui, lui, en revanche, est tout en la Prusse. Maître ou serviteur, — serviteur de l’Etat parce que maître de l’Etat, — il a émerveillé le monde par sa vigilance et son énergie dans l’accomplissement de « ses devoirs » de roi, par la sévérité de ses mœurs journalières, par l’indomptable fermeté de sa résistance à l’heure des revers, par l’inlassable énergie de ce labeur quotidien, à Potsdam, où, chaque matin, cinq ou six heures durant, et pendant quarante-six ans de règne, il apporte une justesse de coup d’œil, une minutie de détail, une force de jugement qui font l’admiration de tous ceux qui l’approchent. Au service de la Prusse il a voué sa vie, non seulement parce que la Prusse est sa chose et son orgueil, mais parce qu’il a foi en elle comme en lui-même, et la grandeur grave de son dévouement à l’Etat s’éclaire étrangement parfois, dans sa Correspondance politique, à la lueur de telle ou telle ligne, où, prévoyant, par exemple, qu’il pourrait être fait prisonnier par l’ennemi, il fait défense à qui que ce soit de lui obéir alors, en disant : « Je ne suis roi que quand je suis libre ; » de tel ou tel mot ému, vibrant, qui parfois tombe de sa plume et dont l’accent ne saurait tromper, celui-ci par exemple : « Il n’est pas nécessaire que je vive, mais bien que je fasse mon devoir. » Peu de souverains ont été plus grands que lui comme souverains ; c’est comme homme que nous l’étudierons bientôt dans un prochain article.


LOUIS PAUL-DUBOIS.