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l’Autriche ; or, son territoire s’ouvre à dix lieues des portes de Berlin : il y a là pour la Prusse un danger public, et il faut que la Saxe soit prussienne ou qu’elle ne soit pas du tout. Ses regards s’attachent donc sur elle : en 1741, il veut la prendre en échange de la Prusse orientale ; peu après, il refuse de la laisser s’agrandir en Bohême, et, pendant dix ans, il ne cessera de déclarer à Louis XV qu’il sortira de l’alliance française le jour où l’on y ferait entrer son gros voisin Auguste III, der Matz. Enfin, voici la grande année 1756. Frédéric prend possession du pays comme à titre définitif, traite les habitans en sujets, incorpore les troupes aux siennes, et, pendant toute la guerre de Sept ans, ce qui le soutient surtout dans la résistance, c’est l’espoir de garder à jamais cette terre promise de Saxe... L’espoir fut déçu, on le sait, comme fut aussi déçu celui d’acquérir la Lusace, ou le Mecklembourg, ou l’évêché d’Hildesheim. Mais il devait avoir plus de bonheur avec la seconde de ses acquisitions de première nécessité, je veux dire la Prusse polonaise, ce bout de pays qui coupe en deux le royaume en séparant la Prusse royale du Brandebourg, et qui fera la part de Frédéric au premier partage de la Pologne. Frédéric avait toujours eu l’intuition que ce ne serait pas la guerre qui lui donnerait cette province. Une fois sans doute, il sembla vouloir la prendre de haute lutte ; c’est au commencement de la guerre de Sept ans, lorsqu’il donna ordre à son lieutenant Lehwaldt de traiter l’affaire avec les Russes dès qu’il les aurait battus. Mais l’idée d’un partage n’en était pas moins prépondérante dans l’esprit du roi, car, dès 1752, dans son Testament politique, il disait déjà de la Pologne, comme autrefois certain duc de Savoie de l’Italie, que cet artichaut demandait à être mangé en paix, tout doucement, feuille à feuille.

Amiable ou brutal, l’agrandissement, qui est alors la loi de toute politique, est donc nécessaire pour l’État prussien plus encore que pour tout autre État : il est nécessaire pour « recoudre les pièces détachées » de la Prusse, et donner au pays la « consistance qui lui manque ; » la Prusse doit conquérir pour n’être pas conquise, et Frédéric, selon sa propre formule, est « un conquérant par nécessité, non par tempérament. » Mais la conquête, nécessaire pour le bien de la Prusse, ne l’est pas moins pour le bien général et la liberté de l’Allemagne : voilà ce que Frédéric ajoute à sa théorie première pour l’appuyer sur des principes d’un ordre plus général et plus généreux. Tantôt il se