bien concevoir et combiner ses plans, ne point manquer l’occasion, ne rien sacrifier aux préjugés ni au sentiment ; bref, en toutes choses, viser juste et agir ferme. Toute sa morale et toute sa philosophie tiennent dans ce mot : le bien de l’État. Voilà la loi suprême ; selon cette loi, toute faute de calcul est une faute de morale dont il ne pourra se disculper qu’en démontrant que le sort la trahi, et non pas sa pensée ni sa volonté, — c’est ce que Frédéric tentera toujours de faire dans la mauvaise fortune, — et qu’il a rempli jusqu’au bout ce devoir sacré de serviteur d’Etat auquel il doit se sacrifier lui-même, avec sa conscience et sa foi, tout entier.
Or les occasions de « se sacrifier » ne manquent pas au souverain. L’Etat se trouve-t-il lié par un mauvais traité ? Le souverain doit rompre ce traité, car, lorsque nos intérêts changent, il faut changer avec eux. « Tout se réduit à ceci : vaut-il mieux que le peuple périsse ou que le souverain rompe son traité ? quel est l’imbécile qui balancerait pour résoudre cette question ? » — Autre hypothèse : l’Etat se trouve sous le coup d’une agression violente de la part d’une puissance voisine. Le souverain doit prévenir l’ennemi pour le mettre hors d’état de nuire ; et si tel autre petit Etat, qui se dit neutre, est suspect à tort ou à raison d’être l’ami de cet ennemi, le souverain doit commencer par mettre la main sur ce voisin paisible, sur son armée, qu’il incorpore à la sienne, sur la famille régnante, qu’il prend en otage, et sur le prince lui-même, qu’il chasse de chez lui, parce que, tout cela, « il le faut pour la sûreté et la conservation de l’État : » c’est ce que fait Frédéric en Saxe, à l’origine de la guerre de Sept ans.
Tout cela, c’est plus que le droit, c’est le devoir du chef d’État, et voilà où le Souverain de Frédéric se distingue du Prince de Machiavel. Selon Machiavel, l’intérêt du Prince est la suprême loi, et la politique exclut par définition toute espèce de morale. D’après Frédéric, au contraire, la loi, c’est le bien de l’État, le souverain est son prophète, je veux dire son serviteur. Et, si ce serviteur d’État est au-dessus ou en dehors de la morale privée comme du droit naturel, il a du moins sa morale à lui, qui est la morale « publique ; » il a son devoir à remplir, qui est le bien de l’État ; il a son juge aussi, qui est le succès, non pas le succès apparent et immédiat, tel que le constatent les contemporains, mais le succès final et durable, tel que le saisit l’histoire : « C’est