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sont les uns et les autres si parfaitement adéquats à leur objet qu’il n’y en a pas un qui ne soit effectif, c’est-à-dire qui ne tende tout droit à un résultat tangible, à un profit matériel. Formalisme, sentimentalité, traditions des cours ou des chancelleries, Frédéric exclut tout cela de ses opérations diplomatiques, comme de ses opérations militaires il a déjà proscrit les vieilles manœuvres de postes et de positions pour marcher à l’ennemi et chercher la bataille. « Les grands princes ne font rien pour les beaux yeux les uns des autres, » il le sait mieux que personne, et quant aux combinaisons des diplomates, aux règles juridiques et aux finesses du protocole, c’est pure « charlatanerie » à ses yeux, car les différends ne se tranchent pas avec du « papier, » mais « avec des opérations vigoureuses » : Papier wird es nicht ausmachen, sondern vigoureuse operationes. — Lors d’une négociation avec la France, il déclare à son plénipotentiaire une fois pour toutes : « Je ne me paie pas de mots, je veux voir des actions, sans quoi je ne me remue pas plus qu’une pagode de Pékin dans sa niche ! » Et, inversement, si Marie-Thérèse, en lui cédant la Silésie, veut conserver son titre de duchesse souveraine, que lui importe ? « Je me f... des titres, pourvu que j’aie le pays. » — Les garanties ? ce sont « des châteaux de filagramme » (sic), et ce qui l’étonne, ce n’est pas de les voir s’effondrer, c’est « qu’après que l’on voit si évidemment leur frivolité, l’on ne se lasse ni ne se détrompe de ces traités de garantie : Tous les hommes sont fols, dit Salomon, l’expérience le prouve. » — Et les alliances ? affaires de parade. « Les préjugés sont tels que le nom seul d’une alliance en impose au public, » c’est là toute leur signification. Certes il faut des alliés à la Prusse, à cause de sa situation particulière au centre de l’Europe et des complications européennes, mais « ne regardez vos alliés et vos traités que comme une œuvre prérogatoire, ne comptez que sur vous-même, et vous ne vous tromperez point. » Voilà le conseil que Frédéric adresse à son neveu dans son Testament politique. Les alliances sont des états de fait, produits passagers d’une conjonction d’intérêts ; les événemens les font, les défont aussi, et personne n’a idée de se croire lié par elles pour tout de bon. Elles n’ont qu’un avantage, pour qui connaît la manière d’en user : c’est de fournir d’excellentes bases de négociation pour exiger de son partenaire une foule de services plus ou moins compromettans, et encore, pour en arriver là, faut-il avoir la force