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moderne, vers 1750. Voici le carreau de la mine, fermé d’un côté par un mur : on descend dans la fosse par une fendue, dont l’ouverture voûtée est à demi béante dans un coin. Tout près d’elle, le puits d’extraction, avec son outillage combien sommaire : un jeu de poulies, une chaîne entre quatre montans, et un manège que tourne mélancoliquement un cheval, sur les pas duquel, non moins placidement et mélancoliquement, tourne un homme. Par delà, deux maisonnettes : l’une à l’usage d’habitation, on le devine aux quelques fenêtres qui l’éclairent et la décorent ; l’autre, dépôt ou magasin, on le voit au hangar qui lui est accolé. A pas comptés, un mineur, le pic sur l’épaule, s’avance vers deux compagnons, l’un assis, l’autre debout, qui devisent de la pluie et du beau temps, et qui sont deux ouvriers respirant avant de descendre, à moins que ce ne soient deux cliens que l’on a priés de prendre patience, jusqu’à ce qu’il y ait du charbon de remonté. Une voiture chargée s’en va : pas très lourdement chargée, car elle n’est attelée que d’un cheval, et qui piaffe, bien que le charretier, à la mode d’autrefois, ait le fouet passé en étole autour du cou. Derrière cette voiture, un crocheteur chemine appuyé sur son bâton, emportant un sac sur son dos : par la route tortueuse, montueuse et boueuse, que bordent une demi-douzaine d’arbres rabougris, une autre voiture arrive, attelée, comme l’autre, d’un seul cheval. C’est l’exploitation au rabais, la vente au détail : dans cette maison vit « le patron » de la mine avec sa famille, et sous ce hangar il tient son petit commerce de charbon.

Voici maintenant, dans le même paysage, au pied du même coteau dénudé, la mine moderne. Sur son carreau bien aplani et lisse comme un parquet s’allongent et se replient en courbes les rails de chemins de fer. Les wagons s’y comptent par cinquante ou cent à la fois, et les magasins, les bureaux, les ateliers, les prises d’eau, les postes d’aiguillage s’y disputent le terrain, dont pas un pouce n’est perdu. Fumée des usines et fumée des locomotives, halètement rauque, battement sec et précipité, respiration d’un être formidable vivant, sous terre et sur terre, d’une vie prodigieusement pleine. Tout un peuple s’entasse là, va, vient, remonte, descend ; et jamais le travail ne chôme, ne s’arrête ni ne s’interrompt. La mine produit et produit, le wagon prend et trans- porte, l’usine reçoit et transforme ; — mais ce n’est encore que la moitié de cette vie débordante et trépidante, car ce n’est pas