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ce vieux jardin me donne, avec ses jasmins et ses rosiers ; ensemble incohérent et indicible, que j’ai si souvent connu par tous pays, mais qui s’émousse avec les années, comme toutes choses, — et qui, ce soir, s’embrume très vite dans la bonne fatigue physique, dans la langueur chaude de la nuit, dans le sommeil...

Nous repartons à 9 heures, sous les belles étoiles claires, avec notre même équipe reposée qui pagayera pendant deux lieues encore, jusqu’à un village où une relève nous attend.

Et les barques lentes, croisées en route, recommencent de passer le long de la nôtre, en silhouettes noires, agrandies, doublées par leur reflet dans l’eau, ayant l’air de très hautes gondoles, quelque peu fantômes.

Bientôt le dédale des lagunes, qui est redevenu vaste comme une mer, s’emplit de feux : lanternes de pêcheurs ; grandes torches pour appeler les poissons, grandes gerbes de roseaux que l’on balance continuellement afin de les maintenir en flammes. Et tout cela se reflète en traînées sur les surfaces luisantes, où les quelques souffles de la nuit tracent à peine des rides légères. Au rythme monotone des pagayes, on s’endort avec le sentiment qu’il y a de la vie, de la vie intense, partout autour de soi dans ces marécages ; — il est vrai, c’est une vie très primitive, à peine différente de celle des premiers ancêtres lacustres.


X

Lundi 1er janvier 1900. — Après la nuit tiède, où l’effort cadencé des rameurs n’a pas eu de cesse, la première aube du siècle se lève ici, fraîche et rose, sur une sorte de monde ichtyophage, qui est en chasse, qui guette partout sa pâture, dans la virginale lumière. La lagune immense, entre les palmes qui se pressent toujours et se penchent sur ses bords, est peuplée d’innombrables barques de pêche qui souvent nous frôlent, retardant notre marche ; elles stationnent, ou elles circulent sournoisement, avec le moins de bruit possible ; les hommes, debout et en éveil superbe sur leurs planches flottantes, tenant en main des filets, des lignes, des lances, observent tout ce qui bouge dans l’eau. Des oiseaux, des pélicans, des hérons de toute forme, posés sur les vases, dardent aussi leurs yeux chercheurs, et, en plus des hameçons, des trémails tendus, des fourches prêtes, il