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aura été certainement ma réception d’aujourd’hui au collège des jeunes filles de caste noble.

Le soleil à peine levé, je m’étais mis en route, — avec un peu de méfiance, il est vrai, redoutant je ne sais quoi de pédagogique et de maussade. Dans le bois de palmes, cependant, où nous avions laissé les chevaux au pas de crainte d’arriver avant l’heure, j’avais rencontré d’abord une, et puis deux, et puis trois petites créatures, jolies et étincelantes, dans de merveilleux atours ; des enfans d’une dizaine d’années, pieds nus, des fleurs blanches aux cheveux ; leurs soies lamées d’or, les pierreries de leur gorge et de leurs bras miroitant sous le soleil tout neuf de l’extrême matin. Elles se dirigeaient comme moi vers l’enceinte brahmanique, et, apercevant ma voiture, voici qu’elles se dépêchaient de toute la vitesse de leurs jambes, qu’entravaient les gaines d’étoffe précieuse... Était-ce donc à mon intention, ces toilettes de Péri ou d’Apsàra ?...

Dans leur collège, je les ai retrouvées toutes réunies, les petites fées indiennes, et ç’a été un éblouissement. Elles étaient en vacances, paraît-il, mais elles avaient consenti à sacrifier pour moi une matinée, et l’une vint m’offrir un de ces bouquets d’ici, très odorans et très apprêtés, où les fleurs sont mêlées de fils d’or.

Le Maharajah se plait à répandre dans son pays l’instruction, qui est devenue chez nous le grand fléau destructeur, mais qui restera longtemps bienfaisante au Travancore, tant que la foi n’aura pas cessé de s’y maintenir et d’y rayonner au-dessus de toutes choses. Et, tout en voulant me montrer ce lycée des filles nobles, égal à ceux de nos pays ou peut-être même supérieur, Son Altesse avait songé à faire de cette visite un spectacle pour mes yeux, un spectacle rare et jamais vu : le mot d’ordre avait été donné aux familles des petites élèves pour qu’elles fussent parées des lourds bijoux de leurs mères et de leurs aïeules. Et les jeunes bras, les gorges enfantines ou adolescentes étincelaient de pierreries anciennes, aux montures délicieusement archaïques, comme en portent les déesses des temples.

Les salles d’étude ressemblaient à celles de nos lycées d’Europe, claires et sommairement meublées, avec des cartes géographiques, de grandes images instructives, sur les murs blanchis. Mais les étranges écolières me paraissaient des idoles, toutes, depuis les plus bébés, qui roulaient de larges prunelles éveillées et qui montraient, entre le pagne et le corselet d’or, le