25 décembre. — Vers quatre heures du soir, quand le soleil torride commence à tomber, ils arrivent discrètement, les musiciens, par petits groupes, dans des charrettes à zébus. (C’est le Maharajah qui m’envoie pour quelques heures l’orchestre de son palais.)
Silhouettes fines et délicates, visages d’artistes, ils entrent sans bruit, pieds nus ; ils entrent d’un pas velouté comme celui des chats, s’inclinent pour de cérémonieuses révérences et s’asseyent sur le tapis par terre. Pour coiffure, des petits turbans dorés et aux oreilles, des diamans ; une pièce de soie, discrètement lamée d’or, les drape à l’antique, jetée sur une épaule et laissant libre un côté de poitrine, un bras orné de cercles en métal. De leurs étoffes légères s’échappent des odeurs d’aromates et d’eau de roses.
Ils apportent de grands instrumens à cordes de cuivre ; sorte de mandolines ou de guitares géantes dont le manche recourbé finit par une tête de monstre. Elles diffèrent beaucoup les unes des autres, leurs guitares, destinées à rendre des sons très divers ; mais toutes ont une caisse d’harmonie énorme et çà et là, le long du manche, pour augmenter encore les effets, des ballons creux qui ressemblent à de gros fruits sur une tige ; peintes, dorées, incrustées d’ivoire, elles sont très anciennes, très desséchées et sonores, très précieuses ; rien que par leurs aspects, par l’étrangeté de leurs formes, elles évoquent pour moi le sentiment d’un mystère, le mystère de l’Inde. Ils me les montrent en souriant ; les unes sont pour être caressées des doigts, d’autres pour être frôlées par un archet, d’autres encore pour être frappées avec une badine de nacre ; il en est enfin dont on joue en faisant rouler sur les cordes une petite chose en ébène qui a l’air d’un œuf noir. Quels raffinemens inconnus à nos musiques occidentales ! Il y a aussi des tamtams accordés en différens tons, et il y a des enfans chanteurs, dont les robes sont particulièrement luxueuses. Et on me remet un programme, imprimé pour moi, où les noms bizarrement mélodieux des exécutans ont tous une douzaine de syllabes.
Cinq heures. Ils sont au complet, vingt-cinq environ, assis sur le tapis, dans la salle déjà en pénombre de soir, où le