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autre ville dans la ville, où les gens de basse caste ne pénètrent jamais.

Ma voiture, cette fois, passe directement ce seuil, que garde un piquet de cavalerie sous les armes. Et le lieu révèle, dès l’entrée, son caractère sacré : nous longeons une immense piscine, où un millier de brahmes, dans l’eau jusqu’à la ceinture, font leurs prières et leurs ablutions du matin, suivant des rites vieux comme le monde : avec leurs chevelures ruisselantes, avec leurs torses mouillés qui luisent au soleil comme du bronze neuf, ils semblent des divinités des eaux ; — d’ailleurs si absorbés dans leur rêve que pas un ne tourne les yeux vers cet équipage qui les frôle et en l’honneur duquel les postes militaires jouent du fifre, battent du tambour.

L’enceinte réservée contient surtout des habitations de princes, des écoles, et le temple suprême qui domine toutes choses de ses quatre tours colossales, de ses quatre pyramides de dieux, érigées vers le ciel. Les façades, les murs extérieurs de ces palais sont plutôt mornes et quelconques ; au-dessus de leurs portes seulement, deux chimères toutes pareilles, dressant des têtes féroces, indiquent l’Inde — comme plus loin, vers l’Orient extrême, certains dragons indiquent la Chine. Et tout cela est d’une couleur ardente, saupoudré de sienne brûlée et de sanguine par la poussière des ans, qui en ce pays est rouge comme la terre des chemins.

Devant la porte du Maharajah, des cavaliers encore présentent les armes, des cavaliers superbes et corrects, en turban rouge, maniant avec une régularité toute moderne leurs fusils à répétition. Et le Maharajah lui-même veut bien se montrer sur le seuil. J’avais craint l’apparition d’un prince en redingote occidentale ; mais non, il a eu le bon goût de rester Indien, en turban de soie blanche, en robe de velours, dont les boutons sont de larges diamans limpides.

La salle où je suis reçu d’abord est pavée de faïences ; du plafond retombent une quantité de girandoles en cristal. Au milieu, un trône d’argent ciselé ; tout autour des meubles noirs, des fauteuils noirs, de forme indienne, en ébène épaisse, sculptée, fouillée en dentelle ; il n’y a vraiment que l’Asie où l’on sache ajourer les précieux bois durs.

Je suis chargé de remettre à Sa Hautesse une décoration française, et, quand je me suis acquitté de ma mission facile,