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Toutes ces maisons qui, la nuit dernière, m’étaient apparues dans leur sommeil, closes sous de tranquilles rayonnemens bleuâtres, forment à cette heure un bazar très animé, où l’on vend des fruits, des graines, des étoffes légères imprimées de vieux dessins en couleurs, et quantité d’objets de cuivre jaune, aussi étincelans que des bijoux d’or : lampes à plusieurs branches, sveltes et montées sur des pieds très hauts comme celles de Pompéi ; plateaux et vases de forme religieuse, dieux et déesses debout sur des éléphans.

Mon guide me montre ensuite des fabriques, fondées par le souverain actuel, où l’on tourne des poteries d’un beau style ancien ; d’autres où l’on tisse des tapis de haute laine, en copiant les coloris du Radjpoutana et du Cachemyr ; enfin des ateliers où de patiens ciseleurs fouillent l’ivoire des éléphans de la forêt proche, pour en faire de fines petites. divinités brahmaniques, ou bien des manches de chasse-mouche et de parasol.

Mais je n’étais point venu au Travancore pour voir tout cela. Seules m’intéresseraient les choses encore si intensément indiennes qui se passent derrière l’enceinte des palais, et dans le grand temple interdit...

Il y a aussi à Trivandrum un jardin zoologique, aussi soigné que ceux de nos capitales d’Europe, avec parcs à gazelles et bassins à crocodiles ; un des rares endroits où l’on puisse sortir de l’ombre et de l’étouffement des palmes, pour voir un peu au loin, dominer des perspectives de jungles et de forêts. On y a créé des pelouses, le long desquelles s’alignent d’incomparables plantes et de larges fleurs exotiques. C’est un coin arrangé, artificiel, où l’on se promène en toute sécurité, parce que la végétation y est soigneusement émondée et parce que les bêtes, — tigres ou serpens qui s’ébattent en liberté à quatre ou cinq lieues plus loin dans la grande brousse, — sont en cage ici. Le soir, à cette heure courte et charmante où le soleil ne tue plus et où la nuit brusque n’est pas encore tombée, il vient en ce jardin une musique, pour jouer dans un kiosque ; elle est composée d’Indiens qui exécutent avec précision des airs d’Europe. Dans les allées bien sablées, les rares auditeurs sont quelques personnages aux nudités sveltes ; un ou deux bébés de race blanche (tout ce qu’en contient Trivandrum) bien pâlots sur les bras de leurs nourrices indiennes ; et quelques petits enfans du pays, fils de princes, qui, hélas ! ne portent plus leur costume