Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tranquille de nos plus belles matinées de septembre dans la France méridionale. Point de grandes palmes ici, ni de folles verdures comme à Ceylan ; rien que des arbres moyens aux feuillages discrets, imitant ceux de nos bois. Des champs fauchés, des vergers, de gentils sentiers avenans et propres, tracés dans une herbe rase, et plus loin, aperçus à travers les branches, des petits murs peints à la chaux, des maisonnettes soigneusement blanchies. Je regarde, et je m’étonne de presque retrouver autour de moi des aspects qui furent familiers à mon enfance.

Il y a même des moineaux, de très vulgaires moineaux, pareils à ceux qui nichent sous nos toits ; seulement, avec cette confiance en l’homme qu’ont toutes les bêtes de l’Inde et à laquelle je ne suis point habitué encore, ils ne s’enfuient pas quand j’approche.

Ce pays, par endroits, me réservait donc la surprise de ressembler au mien, de me rendre, en plein hiver, le charme de nos fins d’été... Et, sans tout à fait oublier au fond de moi-même que je suis dans l’Inde, en un lieu perdu, je me livre, avec une mélancolie douce, à des illusions de terre natale. Les campagnes de l’Aunis ou de la Saintonge, les tranquilles demeures de l’île d’Oléron à la saison lumineuse et dorée des vendanges, me sont rappelées nostalgiquement par ces horizons plats, ces petits murs blancs, ces jasmins, cette herbe jaunie et ces couleurs d’automne.

Mille détails toutefois traversent mon rêve pour le dérouter. Un passant nu, qui frôle sans bruit les graminées du chemin, me montre un fin visage de couleur sombre. Un colibri, près des moineaux, vient se poser avec un éclat de pierre précieuse. Et voici une petite fille, un bébé de six ans, envoyée du village pour me faire une communication, qui a de longs yeux d’énigme noire, et dont les narines frémissantes sont traversées d’épingles d’or avec des rubis comme des gouttes de sang.

Surtout il y a au loin, inquiétant au milieu de ce paysage de chez nous, quelque chose d’étrange qui sort des arbres : l’angle d’un pylône brahmanique, le coin d’une pyramide de dieux et de monstres ; un temple de Vichnou, caché par là dans un bois.

L’heure de midi amène vraiment un excès de chaleur et de lumière sur la maisonnette blanche, malgré l’ombre de ses arbres.

Alentour, dans les petits vergers, sur l’herbe languissante,