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et il écrase de sa masse, hors de proportion avec les habituelles choses humaines, une entrée impénétrable pour moi, grande ouverte cependant et par où mes yeux plongent dans le recul du sanctuaire, dans l’obscurité sainte, ponctuée à l’infini de mystérieuses lampes.

Il m’est permis de regarder par là, mais pas trop longtemps et pas de trop près.

De chaque côté de cette entrée profonde, sous les colonnades du péristyle, à la lueur de petites flammes tremblotantes, sont installés des marchands de fleurs, de guirlandes, de gâteaux sacrés pour les dieux. Elles n’éclairent, les petites flammes en feux follets, que ces groupes d’hommes et la base des granits frustes, jadis taillés en contours de monstres, en fantastiques amas de bêtes. Les immobiles marchands, semblables à des dieux eux-mêmes, appuient contre ces granits rougeâtres leurs nudités fauves ; leurs yeux brillent magnifiquement et leurs longues chevelures de femme tombent en flot noir sur leurs épaules. Au-dessus, l’obscurité demeure souveraine, vers le sommet des piliers et à la voûte imprécise.

C’est loin, loin, ce fond de sanctuaire, aperçu là-bas à la dérobée. D’interminables fuites de colonnes s’y devinent dans l’ombre, des séries de lampes alignées s’y perdent, impuissantes au milieu de si lourdes ténèbres, et, à l’extrême lointain, qui vibre de chants et de prières, passent confusément des formes humaines blanches.

Elle se découpe en contours étranges, en lignes d’architecture inconnue, cette porte interdite par où je regarde. Malgré ses dimensions de porche de cathédrale, on la dirait toute basse et comme clandestine, sous le pylône disproportionné qui la surmonte, sous l’écrasement de la colossale pyramide de dieux érigée vers les étoiles : elle semble une entrée de souterrains et de mystères.

Pour la première fois de ma vie que j’aborde un temple brahmanique, j’en reçois l’impression de quelque chose de lugubrement idolâtre, de fermé aussi, d’hostile et de terrible ; je n’attendais point cela, non plus que cette défense d’approcher et de voir, — et combien m’apparaît vaine, enfantine à cette heure, cette quasi-espérance que j’avais, en venant aux Indes, de trouver un peu de lumière au fond de la religion des grands ancêtres :... Oh ! la douce paix mensongère des églises chrétiennes, ouvertes