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donne M. Mézières. Là est la différence entre lui et le général André ou la commission. Homme pour homme, dit-il, empruntant une formule heureuse à M. le général de Galliffet. Qui peut savoir au juste combien de soldats manqueront dans le rang lorsqu’on aura opéré, d’abord la suppression d’une classe, ensuite toutes les adjonctions, grosses ou petites, de M. le général André ? Qui peut être sur enfin qu’on aura 24 000 rengagés, ou davantage, car il en faudra sans doute davantage ? N’est-il pas plus prudent de commencer par réaliser la condition du système avant d’appliquer le système lui-même ? Quand un homme se rengagera, on en libérera un autre. Il n’y aura dès lors aucun risque à courir pour l’armée : au lieu d’être affaiblie, elle sera fortifiée, car un rengagé vaut mieux qu’un soldat ordinaire. Arrivera-t-on par là au service de deux ans pour tous ? Oui, si les calculs de M. le ministre de la guerre et de la Commission sont exacts ; non pas tout à fait, s’ils ne le sont pas. Mais, s’ils ne le sont pas, faut-il sacrifier l’armée à un calcul erroné ? Qui oserait le soutenir ? Il y a sans doute d’autres élémens dans la question : il y a, par exemple, les sous-officiers et les caporaux dont il faut assurer le recrutement, ce qui ne peut se faire, du moins en partie, que par des rengagemens ; mais ce sont là les détails du problème et, quelque essentiels qu’ils soient, nous les négligeons pour aujourd’hui. M. le général André n’a guère traité que la question des effectifs ; ce n’est pourtant pas la seule ; peut-être même n’est-ce pas d’une manière absolue la plus grave. À côté du nombre, qui est assurément indispensable, il y a aussi les qualités morales, qu’il faut entretenir dans l’armée, et, quoi qu’on en dise, cela est plus difficile avec le service de deux ans qu’avec celui de trois. Sur tout cela, M. le ministre de la Guerre a dit peu de chose ; il a laissé à l’opposition le soin de parler à sa place. C’est ce qu’a fait, entre autres, M. de Lamarzelle qui a rappelé l’importance de l’esprit militaire dans une armée, et qui a demandé comment on le développerait, comment même on le maintiendrait avec le service réduit. Il est vrai qu’on a réponse à tout avec les rengagemens. Soit, dirons-nous avec M. Mézières : mais faisons d’abord les rengagemens, nous verrons après.

M. Mézières est né dans cette partie de la Lorraine qui nous a été si cruellement arrachée en 1871. Il y revient quelquefois ; il connaît très bien l’armée allemande ; il en parle avec la précision d’un homme qui a vu. Cependant il ne s’est pas contenté d’observer de près l’armée de nos voisins, il a lu beaucoup de leurs écrivains militaires, et il n’a trouvé chez aucun d’eux ce paradoxe qu’un soldat de deux ans valait mieux ou même autant qu’un soldat de trois : on ne le trouve