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pose et entraîne celle de la complexité des corps simples, n’avait point perdu de son autorité sur l’esprit des chimistes. Lavoisier lui-même, qui rangeait dans la catégorie des corps simples tous ceux que l’on ne réussit point à décomposer, a cependant refusé d’y placer les alcalis fixes, la potasse et la soude, que les chimistes ont été impuissans à réduire jusqu’au temps des célèbres expériences de Davy, en 1804. La notion de divers corps simples, dans l’esprit de Lavoisier n’était nullement contradictoire à l’idée de l’unité de la matière. « Non pas, écrivait-il, que nous puissions assurer que ces corps, que nous regardons comme simples, ne soient pas eux-mêmes composés de deux ou même d’un plus grand nombre de principes ; mais, puisque ces principes ne se séparent jamais, ou plutôt, puisque nous n’avons aucun moyen de les séparer, ils agissent à notre égard à la manière des corps simples, et nous ne devons les supposer composés qu’au moment où l’expérience et l’observation nous en auront fourni la preuve. »

C’est dans le même esprit de prudence que Sainte-Claire Deville disait à ses élèves de l’École normale : « Gardez-vous d’invoquer l’unité de la matière pour décider aucune question. Mais si quelqu’une de vos conclusions est jamais en contradiction avec ce principe, soyez sûrs qu’elle est fausse. » Même conviction chez M. Berthelot, parlant quelque part des divers corps simples qui se réduiraient « aux formes multiples et prévues d’une matière unique en principe, mais différenciée par le mode de groupement de ses parties et par la nature des mouvemens dont elles sont animées. »

Ces deux conceptions de la discontinuité de la matière et de son unité substantielle dominent les sciences physico-chimiques. Elles en forment, en quelque sorte, les postulats fondamentaux. Et c’est de leur combinaison que naît la doctrine qui nous oblige à considérer les atomes des divers corps simples comme des groupemens de particules plus petites d’une substance commune à tous, en d’autres termes, comme des agrégats de sous-atomes. Pour quelques chimistes, cette substance commune serait l’hydrogène, tandis que, pour d’autres, ce serait une substance indéterminée, autre que l’hydrogène, qu’ils ont proposé d’appeler protyle ou protogène.