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cases de cette classification étaient vides, lorsque Mendeleef la fit connaître pour la première fois, en 1869. Pour combler trois de ces places restées inoccupées, au-dessous de l’aluminium et du titane, le chimiste russe n’avait pas hésité à prédire l’existence de corps simples non encore découverts et dont les propriétés pouvaient être prévues : il les appela ékaluminium, ékabore et ékasilicium. Cette prédiction reçut une confirmation éclatante. Lecoq de Boisbaudran en 1873, Nilson en 1880, et Winkler en 1883, découvraient, en effet, trois nouveaux métaux, le gallium, le scandium et le germanium, qui avaient exactement les poids atomiques et les propriétés devinées par Mendeleef. D’autre part, c’est en partant de la loi périodique que Ramsay a soupçonné dans l’air atmosphérique l’existence des gaz nouveaux, le crypton, le néon, le métargon et le xénon. Il faut avouer, — par compensation — qu’il est difficile d’assigner, dans ce système, une place convenable à deux autres élémens de l’atmosphère, l’argon et l’hélium.

Cependant, ces systèmes, qui serrent de si près la vérité chimique, ne révèlent pas autre chose qu’une certaine relation, assez compliquée d’ailleurs, entre les divers corps simples. Ils ne nous les montrent point comme formés par addition simple, par agrégation d’atomes de même espèce. Ils ne confirment pas leur réduction à un petit nombre d’élémens fondamentaux. Au contraire, il semble même, ainsi que l’a fait observer M. Chesneau, qu’au lieu de plaider en faveur de l’unité de la matière, ils déposent contre elle, « en multipliant les types de corps simples à fonctions chimiques très différentes de celles des élémens connus jusqu’à ces derniers temps. »

L’expérience, critérium et fondement de toute vérité naturelle, — l’expérience des chimistes, tout au moins, — n’a donc guère réussi à mettre en évidence la composition commune que la spéculation scientifique tend à assigner aux corps simples. La décomposition de ces corps exige sans doute, comme le déclarait Dumas, « l’emploi de forces ou de réactions que nous ne soupçonnons même pas. » Ce sont, en effet, des actions, impossibles à prévoir du temps de J.-B. Dumas, qui ont révélé la complexité des atomes chimiques : nous voulons parler des actions électriques s’exerçant dans les tubes de Crookes et donnant naissance aux rayons cathodiques.

Et, cependant, l’idée de l’unité de la matière, quoiqu’elle sup-