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entre elles par des forces, particules qui ont été appelées molécules et atomes. Particules et forces, voilà la matière.

Euler, dans sa cinquante-septième lettre à une princesse d’Allemagne, parle des articles qui ont occasionné de grandes disputes parmi les philosophes et sur lesquels les sentiniens des savans sont partagés. « La divisibilité des corps, dit-il, est un tel article. Les uns soutiennent qu’elle va à l’infini ; les autres qu’elle ne va que jusqu’à un certain point. » Mais pourquoi, à partir de ce point, la partie deviench-ait-elle insécable ? C’est, dit Euler, que « n’ayant aucune grandeur, elle ne saurait être divisée. »

L’argument est inintelligible. Il ne s’agit point, en effet, ici de calcul inlinitésimal ni de limite, dans le sens qu’on donne au mot dans cette science ; c’est une question de possibilité physique qui est en jeu. Au point de vue rationnel, quelque petite que soit une masse étendue, on peut en concevoir toujours la division. Mais, au point de vue physique, peut-on la réaliser ? Tout dépend de la manière dont on interprète le phénomène de la division d’un corps. L’expérience enseigne que diviser un corps, c’est profiter des interstices naturels qui existent entre ses parties pour y introduire le couteau ; c’est simplement agrandir ces interstices, accroître l’écart normal des parties. Diviser un corps est donc tout autre chose qu’en diviser la matière ; car, en réalité, celle-ci n’est pas intéressée dans l’opération. Lorsque l’on passe une lame tranchante dans un tas de sable, on intercale simplement l’instrument entre les particules réelles.

Si telle est véritablement la signification de l’opération de division ; si tous les moyens employés, l’action du couteau, celle de la scie, celle du marteau, sont envisagées de cette façon, et ne font qu’écarter les parties en triomphant des forces qui s’exercent entre elles, la question devient simple de décider si la divisibilité est ou non indéfinie. S’il doit y avoir toujours et toujours des interstices pour le passage de l’idéal sécateur, c’est qu’en fin de compte les particules se réduiront à des points sans étendue, à des centres de force : c’est la conception du P. Boscowitch. C’est la négation de la matière étendue.

Admettre, au contraire, son existence, c’est, du même coup, supposer que la division s’arrêtera à des particules constitutives compactes, dures, inattaquables, incompressibles et, par consé-