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était, à la vérité, beaucoup plus rapproché de la mer et communiquait plus largement avec elle. L’imagination des archéologues a semblé un moment ne connaître aucune borne ; et ce fut, au siècle dernier et jusqu’à ces dernières années, une débauche d’érudition bien inutilement prodiguée, tout comme nous avons eu lieu de le raconter ailleurs au sujet de la détermination du point précis où Annibal a traversé le Rhône.

Il est évident tout d’abord que l’on ne peut songer sérieusement à Calais et à Gravelines, dont tous les abords étaient, à l’origine de notre ère, à peu près noyés dans les marais et n’auraient pas présenté une assiette et une consistance favorables au campement des légions romaines. César dit d’ailleurs très clairement que ses légions avaient campé aux abords du port. D’autre part, il résulte du texte bien net de César que la concentration des troupes et de la flotte a eu lieu sur le port de la côte le plus voisin de la grande île de Bretagne. On est donc forcément conduit à choisir Boulogne ou un port voisin ; et on ne saurait beaucoup s’étonner que le petit havre, aujourd’hui atterri, de Vissant, bien qu’il fût tout à fait en dehors du réseau des grandes routes de l’Empire, ait rallié l’opinion de plusieurs géographes et historiens, qui font souvent autorité, — Cambden, du Cange et d’Anville. Il est cependant assez rationnel et de simple bon sens de penser qu’une flotte de 800 à 900 bateaux ne pouvait appareiller que dans une grande rade, ou mieux dans un long estuaire. Or, nous savons, toujours par le texte de César auquel il convient d’accorder une sérieuse confiance, que ce port ou cet estuaire devait être distant environ de 30 milles de la côte britannique ; et, malgré qu’il soit assez difficile de préciser la valeur absolument exacte du mille romain, on ne peut sérieusement admettre les distances données par Strabon, Pline et Dion Cassius, qui sont évidemment fort exagérées. Strabon dit en effet que César effectua un trajet de 320 stades. « La Bretagne, dit le second, est éloignée de 50 000 pas de Gesoriacum, sur le rivage des Morins, et c’est le plus court trajet. » Cette distance, d’après Dion Cassius, serait même de 450 stades. Cela ferait, d’après eux, 58, 75 ou 83 kilomètres. Or, il n’y en a que 35 environ.

On sait que Gesoriacum est l’ancien nom de la ville gauloise qui occupait l’estuaire de la Liane. Pline et Pomponius Mêla disent que c’était le port des Morins par lequel on passait en Bretagne,