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« crans » ont tous subi la loi fatale de l’obstruction à laquelle sont soumis tous les couloirs, grands ou petits, qui débouchent à la mer. Les alluvions du cours d’eau qui roule dans leur thalweg les ont peu à peu remblayés. La désagrégation et l’éboulement des falaises, qui constituent les bajoyers gigantesques de leur « cluse, » ont amoncelé à la porte d’entrée de chaque couloir des masses de débris. Les vagues et les flots de marée ont remanié sans relâche des milliers de blocs effondrés, en ont de plus en plus réduit le volume, les ont transformés en sable, en vase et en galets, les ont étalés en larges bancs sous-marins, qui ont peu à peu émergé et constitué de véritables barrages ; et presque tous les petits ports ont été ainsi à peu près comblés.

Celui de Sangatte, en particulier, situé tout à fait au Nord du massif du Boulonnais, commandé par sa forteresse du moyen âge et protégé par une bonne digue de défense contre les vagues, présentait encore au XVe siècle une certaine importance. La forteresse a disparu depuis longtemps, et la digue a été remblayée par les débris arrachés à la falaise voisine. C’est aujourd’hui une plage. Mais la vie a été sur le point d’y renaître d’une manière très intense. La falaise de Sangatte vient en effet mourir sur la grève au point de notre rivage le plus rapproché de la côte anglaise ; et c’est là que devait être établie l’amorce du tunnel sous-marin à travers le détroit. Les bâti mens des machines perforatrices y ont été installés il y a plusieurs années ; quelques puits de sondage y ont même été entrepris ; mais le travail n’a été qu’une sorte d’étude préparatoire, une reconnaissance du terrain, un premier essai. Il est arrêté depuis longtemps et ne parait pas devoir être repris de sitôt.

A quatre kilomètres de Sangatte se dresse le sommet le plus élevé de la côte flamande, le cap Blanc-Nez, dont l’étymologie Black-Ness, cap noir, a été, comme on le voit, traduite à contre-sens. C’est en effet un énorme rempart de craie de 134 mètres de hauteur d’une blancheur éclatante. Sa paroi verticale, fendue et disloquée par les météores, a l’aspect d’une ruine cyclopéenne, et son socle en saillie s’avance en mer, faisant face à la côte anglaise, comme la proue d’un navire de combat. A côté et en bas, le hameau d’Escalles occupe le pied d’une fissure, qui a été très certainement autrefois un petit havre de refuge ; ce n’est plus aujourd’hui qu’une grève, le long de laquelle les barques ne peuvent même pas échouer sans danger.