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— C’est vrai !

— Oui, je le sais bien, mais c’est ce qu’il faut pour un succès, et c’était un succès certain... Le dimanche la sauce blanche.., le mercredon le miroton... Tout Paris n’aurait plus chanté que ça pendant trois mois :...

— Et Y... ne te l’a pas pris ?

— Il en était ravi, et l’idée lui plaisait beaucoup... Seulement, il m’a dit : « Pourquoi lundo ? » Je lui ai répondu : « Mais lundo parce que gigot, comme mardin parce que boudin... » Mais il n’a jamais voulu l’admettre... Il me répétait toujours : « Je comprends mardin, je comprends mercredon, mais je ne comprends pas lundo... » J’ai tenu bon, il n’a pas cédé, et nous nous sommes quittés fraîchement...

Vous croyez peut-être à une scène de Charenton ? Eh bien ! non, et l’auteur de la Semaine alimentaire est un négociant très estimé, très entendu en affaires, très bien posé dans son quartier. Il pourrait être juge au Tribunal de Commerce. Il l’a peut-être même été... Mais il compose pour le Café-Concert. Dès qu’il a une heure de loisir, il s’échappe de son magasin, va s’enfermer, se met à son piano, et dote son pays d’une Semaine alimentaire... Et les Semaine alimentaire, les Affaire de goût, les Y en n’a pas des masses, toutes ces confondantes et submergeantes compositions ne proviennent même, pas seulement de la fécondité des spécialistes, du désespoir des allâmes et des loisirs de la rue du Sentier, mais de l’Administration elle-même, des fonctionnaires. « Un auteur de café-concert, nous a{)prend M. Gaston Jollivet, n’est pas ce qu’en pense un vain peuple, quelque enfant perdu de Bohème patoisant sur un sujet quelconque entre deux absinthes impayées à son café. C’est, le plus souvent, un employé du Gouvernement, ou de quelque grande administration, composant des chansons à ses momens perdus... » L’affirmation parait extravagante, et rien, cependant, ne serait plus exact, La grande source où puisent les beuglans se trouverait dans les ministères, et jaillirait de la cervelle des bureaucrates ! Nous ne voyons jamais sans émotion nos vieux palais nationaux. Là, pensons-nous, sont d’innombrables bureaux, d’innombrables souvenirs, d’innombrables papiers, d’innombrables employés, et là s’administrent les Cultes, la Guerre, les Finances, la Marine, l’Intérieur, la Justice, l’Agriculture, l’Instruction publique, grâce à l’activité et à la compétence de légions de rédacteurs,