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villes grandes ou petites, et, pour ne pas laisser fonctionner à vide toutes ces usines ou toutes ces boutiques à folie, une moyenne de « dix à quinze mille chansons nouvelles » tous les ans, de cinquante à soixante-quinze mille en cinq ans, de cent à cent cinquante mille en dix ans. Et d’où vient ce Ilot ? D’où arrive cette marde ? C’est ici le plus fantastique...

Il y a sans doute les spécialistes, les fabricans ordinaires et attitrés. Mais ils ne suffiraient pas, et il faut leur adjoindre des irréguliers, l’homme de lettres en détresse, ou le pauvre diable encore plus vague, qui viennent, un rouleau sous le bras, solliciter du chanteur à la mode le maigre honneur et le pauvre bénéfice de lui laisser des couplets qu’il rognera, taillera ou amplifiera à sa guise... Un jeune homme a fait un drame historique, mais aucun théâtre ne l’a reçu. Il essaye d’un volume de vers, mais aucun éditeur ne consent à le publier. Il se tourne vers le journalisme, mais tous les journaux lui sont fermés. Il se rabat sur le roman-feuilleton, mais tous les feuilletons sont occupés. Il se rejette sur le professorat, mais toutes les places y sont prises... Alors, il s’arrête un jour devant l’affiche d’un bastringue, y voit des masques de pitres, des titres de saynètes, de chansons, d’excentricités, et tout à coup se frappe le front... L’idée d’une folie lui a passé par l’esprit, et le voilà, lui aussi, auteur de café-concert ! Puis, viennent encore d’autres amateurs, des commerçans, des employés, des militaires en retraite, des gens de loi. Tout le monde s’y met. C’est une manie, une démangeaison générale.

Écoutez ce dialogue entre deux gros bourgeois :

— J’ai failli faire une affaire avec Y..., le directeur du Z..., Mais tout a raté pour un mot...

— Pour un mot ?

— Oui... Je ne t’ai jamais chanté la Semaine alimentaire ?

— Non.

— Écoute


Quand vient l’dimanche
C’e-t la sauce blanche, ,
Mais le lundo
C’est le gigot,
Et le mardin
C’est le boudin,
Le mercredon
Le miroton...


Je conviens que c’est idiot...