Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

badauds, de boutiquiers, de bateliers, de domestiques en congé et de physionomies de coquins. Notons bien surtout ces dernières. Elles sont en nombre, et nous les retrouverons toujours aussi nombreuses dans tout ce qui est débit lyrique... Et qu’entend l’assistance ? Que lui chante-t-on ? Une ignominie sans nom. Affaire de goût, et qui met en joie la canaille de la salle ! Une immonde pornographie, renforcée de scatologie, autorisée par la Censure, et qu’un pitre en houppelande jaune vomit, en gambillant, sur les provinciaux et les grand’mères, les petites filles et les collégiens !

Le soir, aux Champs-Elysées, c’est le beuglant riche, où fréquente le beau monde... Il est dix heures, et tout est comble. Combles, les stalles du stand ; combles, sur les côtés, les loges sous la verdure ; comble, la terrasse du restaurant où les dîneurs et les dîneuses prennent le champagne ou le calé ; combles, entre les travées des stalles, les allées où piétine tout un public. Dans l’assistance, beaucoup d’hommes eu frac, le mac-ferlane ouvert sur la cravate blanche et le plastron ; quelques femmes du monde dans les loges ; des filles partout, et partout, également, assis ou circulant, des personnages graves, à physionomies officielles, la rosette à la boutonnière, des fonctionnaires et des hommes politiques qui viennent passer là une heure, entre un diner au ministère et une apparition à l’Elysée. Puis, aux mêmes places, les coudoyant, beaucoup aussi de petites gens, des boutiquiers, des commis, des valets de chambre, et les inévitables têtes bizarres, violentes, patibulaires. On sent là, sans barrière entre eux, dans un sans-gêne commun, la femme tarifée et la mondaine, le repris de justice et le magistrat, les maîtres et les domestiques, les honnêtes gens et les filous.

Et qu’entendent-ils, que voient-ils, que goûtent-ils tous aussi ensemble ? De jolies diseuses, mais dont les petites voix aigres rappellent les querelles criardes qui vous arrivent, au passage, des ateliers de blanchisseuses ! De jolies danseuses toutes harnachées de pierreries, mais qui, sous ces harnais, ont l’air de bêtes à écailles, et qui gambadent comme des bêtes ! Des chanteuses toujours également jolies, toujours étincelantes de pierres, mais qui gloussent des couplets obscènes, de fades gravelures, d’ignobles sous-entendus :... Comment peut-on venir voir et écouter tout cela, et se mettre, pour l’écouter, en habits de gala ? Quel plaisir de malades trouvent donc ces gens de salon,