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c’est le pêle-mêle. Vous voyez défiler sur le même rang, de front, des morceaux d’église légendaires, comme le Noël d’Adam, d’autres également célèbres et de noble inspiration, comme le Noël d’Holmès, d’autres héroïques et touchans, comme le Petit Grégoire de Botrel, puis d’ignobles gravelures, d’idiotes grossièretés, d’obscènes équivoques, de dégoûtantes ignominies. Et tout le café-concert se trouve dans la folie de ces contrastes. Il plonge le spectateur dans la fange pour l’enlever ensuite au ciel, comme par un mouvement de montagnes russes. Vous vous sentez sur le cou le froid des couplets de Bruant, puis on vous barbouille de boue, on vous fait ricaner à des visions lubriques, et on vous emporte, de là, dans les cris de fureur guerrière ou sur les ailes des cantiques. La névropathie de l’auditoire est menée, en moins d’une heure, du drapeau au gros numéro, de la chapelle au cabanon, de la guillotine au musée secret !


X

Prenez le bateau qui va du Louvre à Auteuil, et descendez au Point-du-Jour, au pied du viaduc, sur ce coin de Seine où grouille, toute la journée, tout un mouvement de guinguettes, de tirs, de jeux, de marchands de pommes de terre frites, de bonnes et d’enfans. Rien que sur ce morceau de berge, à quelques pas les uns des autres, piaillent et grincent trois ou quatre beuglans. Les flonflons de piano des uns, les explosions d’orchestre des autres, les éclats de voix des chanteurs, les éclats de rire des chanteuses, vous suivent, vous enveloppent, vous arrivent de partout...

Entrons donc dans un de ces « concerts... » C’est la semaine, l’après-midi, et il y a là, au bas mot, de quatre à cinq cents personnes. Public populaire, sentant la banlieue et le bord de l’eau, la barrière et la famille, et où voisinent toutes sortes de coiffures et de figures : des casquettes, des bérets, des chapeaux-cloches, des tricots de canotiers, des vestons de bourgeois, des commères en cheveux, des commerçantes, une grand’mère avec son petit garçon en collégien à côté de souteneurs sinistres, un drôle en maillot sous sa veste à côté d’une bonne avec une petite fille, un ivrogne vautré dans une loge au-dessus d’un brave homme de père qui élève son polit garçon sur ses genoux pour mieux lui montrer la scène. Singulier mélange de