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mais celui qui a une renommée. Il va, comme l’« ouvrière sans ouvrage, » monter l’escalier de l’agent, et vient, comme elle, lui demander à déchoir. Il veut pouvoir, lui aussi, se plonger dans ce flot d’or que les foules jettent pur milliards aux scènes de pitrerie et de prostitution.


VII

On se demande, devant ces chiffres énormes, quelle fortune peuvent bien faire les princes et les princesses du « beuglant. » Mais, la plupart du temps, ils n’en font aucune, et tous ces gains fantastiques, qui pleuvent pour eux des frises comme dans les enchantemens d’une féerie, leur fondent de même dans les mains. Le chanteur de café-concert ignore tout particulièrement l’épargne, et sa fin, qu’il triomphe sur les grandes scènes ou qu’il végète sur les petites, est généralement triste. Il est rare, d’abord, qu’il vieillisse dans le métier. On voit souvent, au théâtre, de vieux acteurs et de vieilles actrices, on voit même de vieux clowns rester clowns. On ne voit presque jamais de vieux chanteurs de « beuglant » rester au « beuglant. » La misère décime le gros de l’armée, et beaucoup, d’autre part, ne sont que friands de la chanson, et ne le sont que par escapade. Ils redeviennent ensuite zingueurs, commis, comptables ou vitriers, et c’est bien encore là un signe que la profession n’en est pas une, mais représente un histrionisme spécial. Le genre lui-même, enfin, ne comporte pas la durée, ni celle de la chanson, ni celle du chantre, et rien n’est plus lamentable que le vieux chanteur de débit lyrique dont la vieillesse continue à grimacer. Il a été fêté, acclamé, couvert d’or. Les reporters l’ont interviewé, les chroniqueurs ont recueilli ses mots, son nom a couvert les murs de lettres gigantesques et multicolores... Puis, tout à coup, personne n’a plus parlé de lui. Il a disparu de la scène et de la chronique comme ses affiches, un matin, sont elles-mêmes tombées en bouillie sous les seaux d’eau et les balais, et quelqu’un vous demande un jour :

— Savez-vous ce qu’est devenu X... ?

— X... ?... Non... Mais, au fait... Qu’est-ce qu’il est donc devenu, X... ?

Et vous apprenez qu’il chante dans un petit café-concert de banlieue, où il est encore heureux, après avoir gagné plus de cent mille francs par an, de se faire trois ou quatre cents francs