marron. Vous apercevez un piano dans un coin, un cartonnier dans un autre, une ou deux affiches à la muraille, et, dans la petite pièce d’attente, au lieu de figures d’étudians ou de bonnes, de répétiteurs ou de valets, des silhouettes de cabotines, des faces et des profils d’hommes de tréteaux. Etes-vous sans engagement ? On vous adresse à un « beuglant, » on vous y place, et on vous retient tant pour cent, comme pour la cuisinière ou le cocher. Etes-vous l’« ouvrière sans ouvrage, » réclamée par l’affiche des Halles, et n’avez-vous encore jamais chanté ? Le placeur ne s’embarrasse pas pour si peu, et vous fait seulement « dégrossir, » en cinq ou six séances, par un professeur ad hoc. Celui-ci vous serine une ou deux chansons, puis on vous expédie à S..., à T... ou à V..., dans un de ces concerts où l’on demande des « dames jeunes, » qui « quêtent, » « logent, » et « n’aient pas encore chanté » dans l’endroit.
A sa qualité de « lyrique, », l’agent en joint donc souvent une autre, difficile à exprimer décemment, et M. Auguste Germain, qui connaît ce monde dans ses « dessous, » et qui voudrait même le régénérer, nous éclaire sur les commandes auxquelles un « agent lyrique » peut avoir à satisfaire. L’un d’eux en reçoit une ainsi conçue : « Monsieur, envoyez-moi quatre femmes jeunes et gentilles, ayant de la toilette. Je passerai volontiers sur les imperfections vocales. » Un autre reçoit ce reproche d’un directeur : « Monsieur, la dernière chanteuse que vous m’avez adressée est trop grosse ; à l’avenir ne m’envoyez que des femmes minces. » Un troisième doit répondre à cette demande de fourniture : « Monsieur, je voudrais deux ou trois débutantes, jeunes autant que possible, qui soupent... » Or, ces débutantes jeunes, et qui souvent, n’ont, d’habitude, que d’assez pauvres nippes. Mais l’agent lyrique veille à tout, se charge de les harnacher, et gagne sur le harnachement. Il a des marchandes à la toilette attachées à son bureau. Puis, il s’occupe aussi de la rédaction des contrats, en fixe les clauses, et y impose aux chanteuses des engagemens comme celui-ci : « Il est défendu à l’artiste d’aller dans un autre café de la ville... » Aussi, la malheureuse « artiste » n’a-t-elle pas le droit, pour se rafraîchir, d’entrer dans un autre établissement. Ou encore : « Il est défendu à l’artiste de sortir de la ville sans permission. » L’« artiste », dans certaines villes, doit même « présenter à l’arrivée ses papiers au commissaire central, » et le commissaire, une fois l’engagement fini, « l’expulse. »