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Sud, j’entendis faire également l’éloge d’instrumens de chirurgie français comparés à ceux qui venaient d’Amérique. Ces succès partiels n’ont malheureusement pas grande portée, mais ils n’en sont pas moins doux à enregistrer, lorsqu’on est habitué à entendre les Russes juger si sévèrement entre eux notre pays et ses productions.

Vers la fin du jour, nous croisons quelque part un train garé. Il est interminable. Sur des wagons à ciel ouvert sont empilés des sacs de farine et de pois, des nattes, des ustensiles de cuisine, des objets variés appartenant à des Chinois. Sur le faîte des chargemens, des Chinois grands et petits campent, juchés tout là-haut : enfin, dominant le tout, des cochons gelés, étendus à plat ventre, tendent un mufle sanglant, d’une apparence hideusement vivante, entre deux hideuses figures de Jaunes. Dans le soir froid où le crépuscule a tendu son écharpe violette, ces Chinois glissent ainsi, immobiles, les mains dans leurs manches, emmitouflés et résignés. Ce sont des commerçans, ils ont des vêtemens fourrés ; ils gardent des marchandises expédiées à leurs risques et périls vers le Sud du pays. Combien de leurs compatriotes, simples coolies, mal nourris, peu vêtus et sans un sou vaillant, circulent ainsi sur la ligne en construction ! Parfois, trompés par des entrepreneurs chinois qui les ont embauchés, parfois voyageant de leur propre mouvement, à l’aventure, ils s’entassent comme ils peuvent dans des fourgons, quand il s’en trouve ; souvent aussi, ils escaladent en pleine marche, ou subrepticement dans les gares, de simples plates-formes exposées à tous les vents qui l’ont terrible cette température de — 40 degrés centigrades. J’en voyais justement tout à l’heure cinq ou six installés sur une plate-forme qui faisait suite à mon wagon. Les pauvres diables gelaient à vue d’œil : les plus jeunes tâchaient d’exécuter une danse rythmée pour ramener un peu de circulation dans leurs membres ; les plus vieux, résignés, restaient immobiles et faisaient peine à voir. Au bout de deux heures, ils disparurent. Ceux-là, du moins, étaient sauvés. Mais souvent, il arrive qu’ils ne s’en tirent pas à si bon compte. Presque chaque jour, il se produit parmi eux des accidens mortels causés par le froid : aux grandes gares, un employé qui veut faire déguerpir quelques retardataires chinois se trouve souvent en présence de cadavres que la gelée a raidis dans une altitude de sommeil.

Le tram auquel nous sommes attachés comprend, outre un