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peut le dire, puis de réformation sociale. Elle change de direction ou d’intention : faite jadis pour une certaine propriété, maintenant elle va l’être, d’abord pour la propriété sans exclusion ni privilège noble, puis pour l’industrie, puis pour le travail.

Comme il est naturel, d’ailleurs, puisqu’il ne peut rien y avoir dans les lois qui n’ait été premièrement dans les faits et dans les idées, les lois retardent un peu sur les idées et même sur les faits. Comme il est naturel encore, les lois procèdent, ainsi que les idées, des généralités aux spécialités, et il le faut bien, puisque c’est la méthode même et la forme même de la loi de distinguer et de disposer par espèces. Mais, en même temps qu’elle va se compliquant, se chargeant de détails, et se resserrant en ce qu’elle se précise, la législation du travail, d’autre part, va s’étendant, agrandissant son champ, allongeant et multipliant ses atteintes, unifiant et essayant d’unifier toujours davantage son action : jadis locale et corporative, maintenant nationale, demain, peut-être, internationale en quelques-unes de ses prescriptions et de ses interdictions.


I

Dans sa partie positive et de reconstruction, l’œuvre de transformation de la société par la loi ne commence guère, pour être systématiquement poursuivie, qu’en 1848 ; et la raison en est évidente : ce n’est qu’en 1848 que la transformation psychologique de l’ouvrier et la transformation juridique de l’État sont accomplies, que la révolution économique et la révolution politique se rejoignent, et que « le peuple misérable » devient indirectement, mais réellement, par le bulletin de vote, « le peuple législateur. » Jusque-là, en ses actes principaux, et sauf les exceptions qui nulle part ne manquent jamais tout à fait, la loi n’a guère que démoli : la partie négative de l’œuvre en précède, comme elle le devait, la partie positive.

L’édit de 1776 démolissait : « Avons éteint et supprimé, éteignons et supprimons tous les corps et communautés de marchands et artisans, ainsi que les maîtrises et jurandes. Abrogeons tous privilèges, statuts et règlemens donnés auxdits corps et communautés… » Le décret des 2-17 mars, la loi des 14-27 juin 1791 [1]

  1. Édit du Roi portant suppression des jurandes, donné à Versailles au mois de février 1776, registre le 12 mars en lit de justice.