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de déplaisir de ne pouvoir être en effet extérieur votre, comme je suis sans feintise de cœur et d’esprit, et à bon droit, quand mes mérites seraient trop plus grands que de la plus parfaite que jamais fut, et telle que je désire être, et mettrai peine en condition de contrefaire, pour dignement être employée sous votre domination... Comme fait celle qui vous veut être pour jamais humble et obéissante loyale femme et seule amie, qui pour jamais vous voue entièrement le cœur, le corps, sans aucun changement, comme à celui que j’ai fait possesseur du cœur duquel, vous pouvez tenir sûr jusques à la mort, ne changera, car mal ni bien onques ne estrangera. »

Non, quelles que soient là dedans les fautes du copiste, ce n’est point la fille de Marie de Guise, la veuve de François Il, l’amie de Ronsard, qui a écrit ces lettres, évidemment pensées en anglais avant de revêtir leur forme française ! Pas un instant le « son, » dans ces lettres, n’est français, tandis qu’il l’est toujours dans les lettres authentiques de Marie Stuart, même les plus hâtives et les plus incorrectes. Dans ses instructions à ses défenseurs, en septembre 1568, Marie Stuart disait : « Il y a en Écosse diverses personnes, hommes et femmes, qui savent contrefaire mon écriture, et écrire, de la manière dont j’écris, aussi bien que moi. » Nous savons aussi qu’il y avait alors en Écosse, et dans l’entourage même de la reine, bon nombre de personnes fort instruites, qui lisaient et écrivaient couramment le français. Mais toutes ces personnes avaient d’abord appris leur langue natale, tandis que Marie avait d’abord appris le français. Et, quand l’une de ces personnes s’est employée à écrire de fausses lettres de la reine, elle a bien pu contrefaire son écriture, ses expressions habituelles, et jusqu’à ses fautes : mais il y avait, dans le français de Marie Stuart, quelque chose d’essentiellement français qu’elle n’a pu imiter : et par là je crois bien que l’on parviendrait aujourd’hui, sans trop d’invraisemblance, à justifier la pauvre reine d’Écosse du crime monstrueux dont son frère Murray, et les autres assassins véritables de Darnley, se sont efforcés de souiller sa mémoire.


T. DE WYZEWA.