Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/936

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout autre est l’impression que donne, aussitôt, la lecture des « sonnets » à Bothwell. Le style n’y est pas beaucoup plus incorrect que dans les vers qu’on vient de lire : mais c’est un autre style, où la musique des mots n’entre plus jamais en compte, un style qu’on croirait toujours traduit de l’anglais. Les phrases sont composées sur un autre rythme, avec une autre façon d’ordonner les idées. Je cite au hasard :


Pour lui, depuis, j’ai méprisé l’honneur
Ce qui nous peut seul pourvoir de bonheur.
Pour lui j’ai hasardé honneur et conscience.
Pour lui tous mes parents j’ai quitté et amis.
Et tous autres respects sont à part mis.
Bref, de vous seul je cherche l’alliance.


Mais cette impression est infiniment plus vive quand on compare, au même point de vue, la prose française des « lettres du coffret » avec celle des lettres authentiques de Marie Stuart. Ici encore je ne parle point de la grammaire ni de l’orthographe. Que l’auteur des « lettres du coffret » commette invariablement, par exemple, la faute d’accorder les participes avec les sujets (j’ai promise, etc.), c’est de quoi la responsabilité peut échoir au copiste ; et d’ailleurs Marie Stuart, dans ses lettres françaises, si je ne sache point qu’elle y ait commis cette faute-là, en commettait d’autres de même nature. Plus significatives déjà sont, tout au long des « lettres du coffret, » de nombreuses expressions anglaises, dont les lettres de Marie Stuart sont infiniment plus sobres. « L’ingratitude vers moi », « quant au propose, » « vous promettiez bien autre chose de votre providence : » autant de façons de parler essentiellement anglaises. Mais la véritable différence de ces lettres et des lettres originales de Marie Stuart est plus profonde encore, plus indéfinissable, et plus saisissante. Elle consiste dans le ton général, dans le rythme des idées et des mois, dans la vie intime de la langue employée.

Je prends, au hasard, le début de la seconde lettre : « Mon cœur, hélas ! faut-il que la folie d’une femme dont vous connaissez assez l’ingratitude vers moi soit cause de vous donner du plaisir, vu que je n’eusse su y remédier sans le savoir ; et, depuis que m’en suis aperçue, je ne vous l’ai pu dire pour savoir comment me gouvernerais-je, car en cela ni autre chose je ne veux entreprendre de rien faire sans en savoir votre volonté. » Ou bien encore : « L’émail demi-rond est noir, qui signifie la fermeté de celle qui l’envoie ; les larmes sont sans nombre, aussi sont les craintes de vous déplaire, les pleurs de votre absence et