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Tous, suivant l’expression de M. Lang, ils font aussi peu de cas que possible « de la fidélité au trône et à la patrie. » Il n’y en a pas un qui, comme Knox, ne consente volontiers à « voir débarquer en Ecosse dix mille ennemis, » pour peu que ses intrigues personnelles y trouvent leur compte. Aussi, dans cette lutte tragique du chat et de la souris, nous apparaissent-ils tous, à des degrés divers, comme les pourvoyeurs d’un grand et terrible chat qui se cache derrière eux, et qui joue avec la souris, et qui se plaît au spectacle de sa course affolée, jusqu’au moment où, d’un dernier coup de patte, il la jette à terre.

Par un scrupule qu’on n’a point de peine à comprendre, M. Andrew Lang, de même que la plupart des historiens anglais, évite d’insister sur le rôle d’Elisabeth dans l’aventure ténébreuse dont il nous fait le récit. Mais, à chaque instant, derrière les acteurs qu’il nous montre, nous apercevons l’inquiétante figure de la rivale de Marie Stuart, s’acharnant, à la fois par jalousie de femme et par ambition politique, à la perte de l’infortunée qui, bientôt, va se livrer à elle. Tantôt nous l’apercevons en personne, tantôt représentée par ses agens : Cecil, qui, dès 1559, rédigeait des rapports sur « la politique à suivre afin de recouvrer complètement l’Ecosse ; » Randolph, l’ambassadeur d’Angleterre à Edimbourg, informant sa souveraine de meurtres prochains, qui se préparaient sans doute à son instigation ; et Murray lui-même, « pensionné par l’Angleterre, » Murray dont Knox disait, dans une lettre à Calvin : Salutat te Jacobus ille, frater reginæ, qui solus, inter eos qui aulam frequentant, impietati se opponit, Murray qui, depuis le commencement jusqu’à la fin du livre de M. Lang, ne cesse point de « s’opposer à l’impiété » en servant, contre sa sœur, les intérêts anglais.

Qu’on se représente maintenant, transportée tout à coup dans ce milieu nouveau, au sortir de la vie facile et galante de la cour des Valois, une jeune femme de vingt ans, insouciante et légère, avec toute la fierté et tout le courage d’une princesse, mais aussi avec l’abandon, l’irréflexion, la confiance naïve d’un enfant ! Je regrette de ne pouvoir reproduire en entier le portrait que nous offre d’elle M. Andrew Lang : il est d’une vie intense, et chaque page du récit vient ensuite en confirmer la parfaite justesse.


C’était alors une grande jeune femme brune, avec de beaux yeux roux gracieusement allongés : à demi française de tempérament, et, non point belle, mais si charmante qu’Elisabeth retrouvait son charme jusque dans les relations de ses ennemis... Elle avait dans le visage et les manières quelque chose de « divin » qui lui gagnait les cœurs simples, où qu’elle