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vérité est que ce n’est pas en 1568 que la souris est tombée entre les pattes du chat : c’est beaucoup plus tôt, en 1561, dès son retour dans son royaume d’Écosse. « Je l’ai vue souvent, dit Brantôme, appréhender comme la mort ce retour ; et désiroit cent fois plus de demeurer en France simple douairière que d’aller régner là en son pays sauvage. » Sur le bateau qui la conduisait, « elle voulut se coucher sans avoir mangé, » et, durant les cinq jours qu’elle passa en mer, « ne fit guère que de pleurer. » Elle pressentait, évidemment, le long supplice qui allait commencer pour elle.

Le pays où elle allait régner avait récemment achevé de s’affranchir de la « superstition romaine. » Toute personne convaincue d’avoir célébré la messe ou d’y avoir assisté était condamnée, la première fois, à la perte de ses biens, la seconde, au bannissement, et punie de mort en cas de récidive. A la domination du pape de Rome avait succédé celle d’un pape local, John Knox, homme prudent, mais plein d’activité, qui parcourait villes et villages en excitant le peuple à la haine des papistes en général, et de Marie Stuart en particulier. « J’aimerais mieux, disait-il, voir débarquer en Écosse dix mille ennemis que d’y voir célébrer une seule messe ! » Et quand, après le retour de la jeune reine, une messe fut célébrée dans la chapelle royale, le farouche apôtre n’eut plus de repos que, fût-ce au prix du débarquement de dix mille ennemis, « l’odieuse idole » n’eût été détruite. « L’arrivée de la reine, — écrivait-il à Calvin, le 24 octobre 1561, — est venue troubler la tranquillité de nos affaires. »

Pour la protéger contre ce terrible adversaire de son idolâtrie, Marie Stuart trouvait auprès d’elle un groupe de hauts personnages, presque tous protestans. C’étaient, notamment, son frère Murray, le secrétaire d’État Lethington, le chancelier Morton, Kirkaldy de Grange, Ruthven, James Balfour. Quelques-uns d’entre eux nous ont été présentés par les historiens comme d’assez honnêtes gens ; et nous pouvions croire, par exemple, sur la foi de Mignet, que Murray, avec toute son ambition, était un chrétien « d’une foi profonde » et « d’une conduite soutenue. » Kirkaldy de Grange nous apparaissait volontiers comme le type du laird écossais, un « second Wallace. » Et Morton, Lethington, et les autres, nous les imaginions tous, plus ou moins, sur le modèle des chevaleresques highlanders des romans de Walter Scott, intrépides et loyaux, capables d’un meurtre, au besoin, mais incapables d’un mensonge ou d’une trahison. Or, M. Andrew Lang les amène tous devant nous, l’un après l’autre ; après quoi, avec une conscience et une impartialité que je ne saurais trop louer, il nous