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ses classifications les espèces animales ; il se peut d’ailleurs que, lorsqu’on parle de la plante humaine ou de l’animal humain, l’expression ait une autre valeur que celle d’une simple métaphore ; il n’en reste pas moins que l’homme ne devient lui-même qu’en se différenciant de la plante et de l’animal. Le chimiste ne connaît que les propriétés de la matière et le physiologiste que les modifications de l’organisme ; il n’en reste pas moins que le caractère d’humanité commence au point précis où s’arrête l’empire des nécessités physiologiques. On peut avoir disserté longuement des fonctions de nutrition et doctement des facultés génésiques, sans avoir encore rien dit de l’homme. C’est ce que n’ont pas même soupçonné les romanciers naturalistes, au surplus dupes d’eux-mêmes plutôt encore que de la science, et égarés moins par le souvenir de leurs graves lectures que par le tour de leur imagination. Ils ont su mettre au jour tout ce qui nous rapproche de la brute, les instincts et les appétits, tout ce qui sommeille dans les profondeurs de notre nature et tout ce qui s’agite dans les parties basses de notre être. Ils ont échoué au seuil des régions proprement intellectuelles et morales, ou plutôt ils ne se sont pas souciés d’y pénétrer, persuadés que la réalité cesse d’elle-même si elle cesse d’être vulgaire et grossière.

Le médecin étudie la marche des maladies, afin de savoir du moins pourquoi il ne peut l’enrayer ; il les décrit, il leur donne un nom à défaut de leur trouver un remède : et c’est une satisfaction pour lui, si c’est une duperie pour le malade. Le psychologue, pour définir l’esprit et marquer les limites de son activité normale, décrit les formes rares, curieuses, extrêmes, extraordinaires de cette activité, et inventorie les cas anormaux. En compulsant les traités de médecine, ceux de psychologie, de physio-psychologie, d’anthropologie et de quelques autres sciences annexes, ce qu’y ont trouvé les romanciers, ç’a donc été tout uniment le répertoire des cas pathologiques. Leur sensibilité d’hommes qui n’étaient point endurcis par l’habitude professionnelle en a été vivement remuée, en même temps que leur imagination de littérateurs à peine échappés du romantisme a été séduite par tout ce que cette flore malsaine avait pour eux d’étrange, de fantastique et de troublant. Ils se sont complu parmi ces déformations, ces aberrations, ces déviations et ces perversions ; et, avec une exacte « soumission à l’objet, » ils ont donné de toutes ces monstruosités une image aussi fidèle que complaisante. De là ce personnel où le roman moderne n’a pas encore cessé de recruter ses types, détraqués, hystériques, névrosés, hallucinés, maniaques, aliénés, dégénérés,