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de dire que, si la science a par ailleurs nui à la littérature, elle lui a, tout compte fait, été plus utile que nuisible. Elle l’a, par son intervention, utilement secondée dans l’effort qu’elle commençait de faire pour reprendre plus nette conscience d’elle-même. Mais cette intervention était nouvelle, et aucune nouveauté ne va sans engouement, sans indiscrétion, sans applications intempestives ; celles-ci n’ont pas manqué de se produire. C’est surtout le roman qui a servi de champ d’expérience aux littérateurs épris des méthodes scientifiques. Les romanciers naturalistes se sont attachés avec ténacité à des formules qu’ils comprenaient mal. Ils ont notamment pris au pied de la lettre ce qui avait été dit par Taine avec une exagération voulue et en manière de boutade. Et sans doute la science ne doit pas être tenue pour responsable d’erreurs qu’il faut mettre sur le compte de l’insuffisante préparation des esprits ; mais elle en a été l’occasion et le point de départ. La première consiste dans une espèce de recul de la notion elle-même de l’art. De cette idée juste qu’une généralisation suppose d’abord la réunion d’un nombre considérable de petits faits est issue la méthode du « document humain, » connue surtout pour l’abus qu’on en a fait. Le romancier s’est transformé en un fiévreux preneur de notes. Il ne s’est pas aperçu que la note figée sur son carnet n’était plus qu’une chose morte, comme l’insecte piqué par l’épingle de l’entomologiste. Il a déversé dans ses livres ses carnets de notes : de là tant de niaiseries, tant de détails inutiles où s’éparpille l’intérêt, où disparait l’impression d’ensemble. Hanté par le dogme d’après lequel le romancier travaille sur la réalité présente comme l’historien travaille sur la réalité passée, il ne s’est plus soucié que de fournir quelque jour à l’historien la plus grande somme possible de renseignemens sur la société de son temps. Le champ de sa vision s’est ainsi trouvé restreint à l’actualité, c’est-à-dire à ce qu’il y a de plus superficiel, de plus changeant et de plus décevant. Surtout il s’est habitué à considérer que la valeur d’une œuvre littéraire dépend du nombre des matériaux utilisés et s’apprécie d’après son contenu. C’est, en quelque manière, le contraire qui est vrai, puisque le mérite de littérature n’y apparaît qu’avec le travail de la forme. C’est par elle-même que vaut une œuvre littéraire, non par la réalité dont elle est significative. L’envisager surtout comme un signe, c’est méconnaître ce qui chez elle est essentiel, ce qui fait qu’elle est une œuvre d’art.

En second lieu, le botaniste a rempli tout son office quand il nous a instruit des lois qui régissent la croissance et le développement des plantes, et le naturaliste a rempli le sien quand il a fait rentrer dans